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Comprendre > Concepts fondamentaux > Observations III

L'OPTIQUE ADAPTATIVE



Le pouvoir de résolution

Qu'est-ce que le pouvoir de résolution ? Prenons un exemple. Si vous regardez la Lune à l'oeil nu, vous ne distinguez que quelques détails, ceux qui correspondent, sur la Lune, aux structures les plus importantes. Avec une paire de jumelles, vous avez accès à des détails que vous ne voyez pas à l'oeil nu. Et avec un petit télescope encore d'avantage. On dit que la paire de jumelles et le télescope ont des pouvoirs de résolution de plus en plus élevés. 

"Résoudre" deux détails c'est pouvoir les distinguer comme deux éléments bien séparés. 

Le pouvoir de résolution est une notion qui n'intervient pas seulement en imagerie, mais dans tous les domaines de l'observation. Un spectrographe, dont la fonction est de séparer les différentes longueurs d'onde d'un rayonnement, aura un pouvoir de résolution d'autant plus élevé, qu'il pourra séparer deux longueurs d'onde plus proches l'une de l'autre. 

Pour accéder à des objets très faibles, il était nécessaire d'avoir des collecteurs équipés de très grands miroirs. Les très grands miroirs ont un autre avantage, ils donnent des pouvoirs de résolution supérieurs. Examinons un peu ceci en détail. 

Parce que la lumière est une onde, la théorie nous indique - et l'observation le confirme - que l'image d'un point, une étoile, n'est jamais un point mais une petite tache circulaire dont le centre se trouve à l'emplacement géométrique de l'image du point. Et le diamètre de cette tache dépend de la taille du miroir. Plus celui-ci est grand et plus la tache est petite. Avec un grand miroir, on peut donc distinguer des détails plus fins qu'avec un petit. C'est une chose suffisamment rare en physique pour être signalée, que la variation d'un paramètre (le diamètre du miroir) entraîne la variation dans le sens de l'amélioration de deux grandeurs observables (le flux limite observable et le pouvoir de résolution). On consultera la page dédiée aux télescopes pour approfondir cette notion de résolution. 


 

La turbulence atmosphérique.


Nous devrions donc être pleinement heureux. Il n'en est rien, car il s'agit de performances théoriques. S'il est vrai que le flux observable augmente indéfiniment avec le diamètre du miroir, le pouvoir de résolution, lui, atteint rapidement un plafond dû à une autre cause de limitation. Entre l'étoile et le télescope au sol, se trouve une couche gazeuse d'une dizaine de kilomètres d'épaisseur qui constitue l'atmosphère terrestre. Cette atmosphère est le siège de mouvements turbulents complexes qui ont pour effet de déformer les ondes lumineuses qui arrivent sur le télescope, ce qui entraîne une agitation permanente de l'image au foyer du télescope, agitation qui se traduit par un élargissement de la tache théorique de l'image de chaque point. Le seul moyen de s'en affranchir est de se placer en dehors de l'atmosphère. C'est ce qu'ont fait les chercheurs aux Etats-Unis avec le télescope spatial. Nous reviendrons sur cette question un peu plus loin. 

 

Crédit : F. Lacombe/observatoire de Paris

Sur Terre, nous devons donc composer avec la turbulence atmosphérique. Pendant longtemps, les astronomes n'ont pu que subir, choisissant de ne retenir que les observations faites quand cette turbulence était la plus faible. Ensuite, on s'est aperçu que tous les sites géographiques n'étaient pas égaux face à la turbulence. En particulier, les sites en altitude et surtout sur des sommets isolés, en éliminant les couches les plus basses de l'atmosphère, donc les plus turbulentes car les plus voisines du sol qui dégage la chaleur emmagasinée pendant la journée, offraient de bien meilleures conditions d'observation. C'est à partir de cette constatation que Jules Janssen eut l'idée d'installer dans les Pyrénées, au Pic du Midi de Bigorre, un observatoire astronomique qui reste encore aujourd'hui, un excellent site d'observation. 


 

Pour combattre efficacement la turbulence atmosphérique il fallait d'abord bien la connaître. Les astronomes s'y sont employés pendant de très nombreuses années et ont fini, à force d'efforts, par en avoir une représentation assez précise. Très schématiquement, on considère, qu'au voisinage du sol, sur une épaisseur de quelques dizaines de mètres, l'atmosphère est constituée de globules de gaz d'environ 25 à 30 centimètres de diamètre relativement homogènes et dont la durée de vie est de l'ordre de quelques dixièmes de seconde. Cette dimension des globules est d'ailleurs bien mise en évidence par les télescopes d'amateur dont les miroirs ont sensiblement cette taille et qui sont beaucoup moins sensibles à la turbulence que les collecteurs de taille supérieure. Quant à la durée de vie, on peut en avoir une idée en faisant, sur une étoile brillante, des poses très courtes qui "figent" l'image au foyer du télescope.


 

L'optique adaptative.

La réponse à la turbulence atmosphérique et les moyens mis en oeuvre pour s'en affranchir sont connus sous le nom d'optique adaptative. Cette technique toute récente a été développée dans plusieurs observatoires dont l'observatoire de Paris qui a mis au point, pour le compte de l'E.S.O., un tel système fonctionnant actuellement de façon régulière sur le télescope de 3,60 m de la station d'observation de La Silla au Chili. Les résultats obtenus ont tout de suite été à la hauteur des espoirs que l'on avait placés dans ce système. Dans les meilleurs cas, le gain en pouvoir de résolution peut atteindre un facteur 20. Indiquons enfin que l'observatoire de Paris est impliqué dans l'étude et la réalisation du système devant équiper le VLT actuellement en phase finale de sa construction, au Chili. 

En quoi consiste l'optique adaptative ? Le principe est très simple, la réalisation infiniment complexe. La lumière arrivant sur le télescope est altérée par la turbulence atmosphérique  : sa surface d'onde n'est plus plane mais irrégulière (Turbulent wavefront). On l'envoie (light from the telescope) sur un miroir déformable (deformable mirror) auquel on applique des déformations inverses de celles de la surface d'onde de façon qu'après réflexion sur ce miroir, elle retrouve sa planéité. Tout le problème revient donc à savoir quelles déformations il faut appliquer au miroir. Puisque les déformations doivent être inverses de celles de la surface d'onde, on les obtiendra en analysant la surface d'onde. On prélève donc une petite partie de la lumière à l'aide d'une lame semi réfléchissante (dichroic plate) et on l'envoie sur un dispositif qui analyse la surface (d'onde) en 32 points différents (wavefront sensor). Ce dernier dispositif adresse alors à un ordinateur (control system) la carte des déformations et celui-ci calcule la valeur des signaux électriques à envoyer à 32 points homologues du miroir pour le déformer. 

Imaginons qu'à un instant donné, le système corrige parfaitement la surface d'onde. Arrive une petite déformation. Le dispositif d'analyse la voit immédiatement puisqu'elle n'a pas été corrigée. Il envoie donc un signal de correction au calculateur qui calcule les signaux nécessaires à la correction. 

Pour que le système marche, il faut donc que le cycle "détection d'un défaut > analyse > calcul et correction" soit beaucoup plus court que le temps moyen d'évolution de la turbulence. Ceci n'est possible qu'avec des calculateurs ultra rapides. De tels calculateurs ne sont pas programmés mais construits spécialement pour une tâche bien définie. 

Le front d'onde
incident est turbulent




Un miroir déformant corrige le front d'onde de façon que la turbulence soit corrigée.
Crédit : F. Lacombe/observatoire de Paris










Le faisceau qui arrive sur le récepteur est corrigé de la turbulence et le pouvoir de résolution du télescope est augmenté

Même avec de tels calculateurs, il ne faut pas que la turbulence devienne trop grande. Sinon le système "décroche" et l'observation est perdue. On voit donc que même équipé d'un système d'optique adaptative, on a tout intérêt à installer un télescope dans un bon site. 

Un tel programme n'a été réalisable que grâce à un concours de circonstances tout à fait remarquable. 
- les ordinateurs ont acquis des puissances de calcul suffisantes :  en effet tout le calcul doit être effectué au moins vingt fois par seconde. Or les 32 points d'analyse de la surface d'onde et donc les 32 points d'épreuve sur le miroir ne sont pas indépendants les uns des autres. Il faut faire intervenir l'interaction qu'ils ont les uns par rapport aux autres, ce qui augmente énormément le nombre d'éléments à calculer. Dans la pratique, c'est 32 x 32 = 1024 calculs qu'il faut effectuer en 1/20ème de seconde soit 20480 calculs par seconde. Et chaque calcul porte sur 6 grandeurs différentes. C'est donc au total plus de 120 000 calculs par seconde qu'il faut effectuer. 
- les techniques d'asservissement sont arrivées à un niveau de fiabilité et d'efficacité suffisant pour permettre de telles réalisations sans être à la limite des possibilités. 
- enfin et surtout, les astronomes avaient réussi à se faire une idée précise de ce qu'est la turbulence atmosphérique. 

La figure ci-dessus illustre de façon saisissante l'avantage que procure ce système. Il s'agit de l'observation du centre galactique dans le proche infrarouge à 2,2 micromètres.  A gauche, l'image que l'on obtient sans optique adaptative dans un très bon site (au Mauna Kea à Hawaï). A droite, la même image obtenue avec le système d'optique adaptative du CFHT réalisé en collaboration entre le CFHT, l'observatoire de Paris-Meudon et le Dominion Astronomical Observatory . On peut réellement dire que sans optique adaptative nous sommes quasiment aveugles. A gauche, le pouvoir de résolution est celui imposé par la turbulence atmosphérique. A gauche, il est de l'ordre de 0,12 seconde de degré et on peut distinguer les anneaux de diffraction, ce qui montre que la résolution ultime du télescope est atteinte. Le champ est de 13 x 13 secondes de degré. 

Nous vous proposons d'autres images obtenues grâce à l'optique adaptative  : 
- les satellites galiléens de Jupiter ont aussi fait l'objet d'observations en optique adaptative qui ont permis de résoudre le diamètre apparent des satellites; 
- l'astéroïde Kleopatra dont la forme a été révélée grâce à l'optique adaptative; 
- le satellite de l'astéroïde Eugénia, premier satellite d'astéroïde observé directement depuis le sol; 
- le satellite de l'astéroïde Pulcova
- les petits satellites de Saturne proches des anneaux; 
- Uranus, ses anneaux; et ses petits satellites proches.



 Pour en savoir plus : des liens sur des serveurs Internet consacrés à l'optique adaptative  : 




Crédit : L. Vapillon, J.E. Arlot/observatoire de Paris