Comprendre > Histoire > Observatoire de Paris IX
Au moment où s'ouvre la période révolutionnaire, Cassini IV est sur le point de voir s'achever la restauration et la réorganisation de l'Observatoire. Il a pu notamment mettre en oeuvre le Règlement signé par Louis XVI le 26 février 1785, dans lequel il est désigné sous le titre de Directeur général, et libéré de la tutelle de l'Académie ; il dispose désormais de trois élèves appointés.
Les difficultés commencent dès le 16 juillet 1789, lorsque les souterrains de l'Observatoire sont l'objet d'une inspection assez brutale par une patrouille du district du Val-de-Grâce qui, sur dénonciation, y recherche des armes et des vivres imaginaires.
Bientôt l'argent va manquer pour l'entretien du bâtiment, les élèves seront plus assidus aux manifestations républicaines qu'aux observations, et enfin, le 31 août 1793, la Convention prend un décret qui « sur les principes de l'égalité et de la Liberté » stipule que les quatre astronomes de l'Observatoire de la République jouiront des mêmes droits.
Ces astronomes (ou «professeurs», dans d'autres textes), sont Cassini et les trois élèves recrutés en 1785 : Nouet, Pemy et Ruelle, d'origine et de mérite fort différents. Le premier est un ecclésiastique qui, en 1793, a déjà cinquante-trois ans et une certaine expérience de la géodésie. Le second est un jeune astronome de vingt-huit ans, qui observe assez régulièrement et découvre une comète en cette même année 1793 ; il joue un rôle de meneur dans les événements. Le troisième est un aventurier de trente-sept ans, déserteur réfugié à l'observatoire où Cassini l'avait accueilli avec une bonté qu'il paye d'ingratitude ; quatre ans plus tard, on le trouve impliqué dans la conspiration de Babeuf.
Cassini ne peut accepter le décret du 31 août, qui consacre l'annihilation de ses efforts, et démissionne de ce poste d'astronome le 5 septembre 1793. Il quitte l'Observatoire un mois plus tard, après de pénibles différends avec ses ci-devant élèves excités par le citoyen Lakanal, lequel avait été désigné comme inspecteur de l'Observatoire par le Comité de l'Instruction publique.
On ne sait par quelle autorité Cassini démissionnaire est remplacé aussitôt par Alexis Bouvard, ni comment Pemy, qui se désigne d'abord comme «président de l'assemblée des quatre astronomes», fut nommé directeur temporaire dès septembre. Un an plus tard le directeur temporaire sera Nouet. Pratiquement, l'Observatoire sera inactif et à l'abandon pendant deux ans.
L'Académie des sciences, supprimée en même temps que les autres académies par le décret du 8 août 1793, est rétablie comme «Classe des sciences physiques et mathématiques» de l'Institut national créé le 25 octobre 1795. Mais un nouvel organisme a été instauré peu avant par le décret du 7 messidor an III (25 juin 1795) : le Bureau des longitudes.
Le rapport justificatif du conventionnel Grégoire est annexé au décret de messidor. S'il sacrifie au style fleuri de l'époque («le trident de Neptune est le sceptre du monde», cite-t-il), s'il n'omet pas d'affirmer la foi républicaine de l'auteur («La royauté avait tout souillé, la République purifiera tout... Des emblèmes plus convenables à la liberté [que la fleur-de-lys* qui marque le nord sur les cartes et les compas de route] remplaceront les signes du despotisme»), il est fortement charpenté du point de vue scientifique.
Le décret assigne au Bureau des longitudes la mission de développer l'astronomie au profit des sciences, de la navigation, de la géographie ; il lui fait attribution de l'Observatoire national de Paris. Des dix membres du Bureau, quatre sont statutairement des astronomes : Lalande, Cassini, Méchain et Delambre sont nommés à ce titre. Le traitement des membres est alors de 8 000 livres. Cassini va revenir de sa terre de Thury, assister à quelques séances, puis démissionner au début de 1796 ; il sera remplacé par Messier. Deux astronomes adjoints sont nommés dès 1795; Michel Lalande (neveu de l'autre) et Bouvard. La nomination au Bureau était une affectation dans un emploi à plein temps, et non une distinction honorifique; mais seuls les astronomes-adjoints, et les aides obtenus par la suite, étaient astreints aux travaux de service à l'Observatoire, les membres astronomes étant occupés par leurs propres recherches (pouvant comporter des observations) et par des missions spécifiques telles que l'établissement de la Connaissance des Temps.
* Grégoire ignorait que ce motif ornemental, dont l'emploi était international en cartographie et en navigation, n'avait aucune relation avec l'emblème royal français.
La direction de l'Observatoire ne faisait plus l'objet d'un règlement. C'est Lalande, désigné comme directeur temporaire dès le 7 mai 1795, qui devient peu après le directeur choisi par le Bureau des longitudes. Mais il s'agit seulement d'administration et non de direction scientifique, car les autres membres astronomes travaillent de façon autonome. On ne connaît pas avec rigueur la liste des directions successives, d'autant que le Bureau a un administrateur à partir de 1800 et qu'il y a des confusions entre celui-ci et celui qui s'occupe de l'Observatoire. On peut seulement, jusqu'en 1822, définir trois périodes : 1795 à 1800, 1800 à 1804, 1804 à 1822, au cours desquelles Lalande, Méchain et Delambre ont respectivement géré l'Observatoire d'une façon presque continue, mais avec quelques permutations entre eux et peut-être aussi avec Bouvard. Puis la direction administrative sera assurée par Bouvard de 1822 à 1843, et par Arago de 1843 à 1853.
A la mort de Bouvard c'est le célèbre Arago, déjà «directeur des observations» depuis 1834, qui le remplace. Il avait été nommé astronome-adjoint en 1807, alors qu'il se trouvait en mission en Espagne pour conclure l'opération géodésique des Baléares, que la mort de Méchain avait interrompue.
Arago achevait sa triangulation à Majorque, en 1808, lorsque la guerre reprend entre la France et l'Espagne : il est pris pour un espion par la population, mais son accent catalan et un déguisement de paysan lui permettent de regagner son vaisseau, qui est espagnol et où il est d'abord intemé. Il peut ensuite partir pour Alger, d'où il s'embarque vers Marseille; mais il est capturé par des corsaires espagnols, ramené en Espagne, incarcéré. Libéré à la fin de 1808, il s'embarque à nouveau pour Marseille, mais le navire (tempêtes, guerre, puis voies d'eau...) se déroutera sur Bougie. Il gagne Alger déguisé en bédouin, peut se rembarquer et, s'il atteint enfin Marseille le 2 juillet 1809, c'est parce qu'il a été possible d'échapper à une croisière anglaise.
La contribution de cet éminent physicien à l'astronomie est marquée essentiellement par ses talents dans l'enseignement, la diffusion de la culture, l'organisation, et une influence stimulante sur ses élèves. C'est ainsi que le cours d'astronomie dont le charge le Bureau des longitudes, à peine ouvert à l'Observatoire en 1813, réunit une telle affluence qu'il faut le transférer dans l'immense salle méridienne dite de Cassini. Son Astronomie populaire (1854) a joué un rôle certain dans l'éducation scientifique du public. Il a suscité la rénovation de l'industrie des instruments de précision en France, avec les constructeurs Henri Gambey et Louis Bréguet. Il a incité Le Verrier à reprendre le travail de Bouvard sur Uranus, et a donc une part dans la découverte de Neptune.
Ses travaux personnels proprement astronomiques sont principalement des applications de ses autres travaux (polarimétrie et photométrie notamment) à la physique solaire, stellaire et atmosphérique. On lui doit d'avoir discerné, dès 1839, lorsqu'il présenta l'invention de Daguerre, l'importance que la photographie prendrait pour l'astronomie; c'est à son initiative que Fizeau et Foucault étudièrent l'impression rapide des plaques et obtinrent, le 2 avril 1845, le premier et remarquable daguerréotype du Soleil.
Il aura fallu attendre la Révolution pour que cette vocation pluri-disciplinaire de l'Observatoire qui figurait au projet de Colbert se concrétise.
Le célèbre projet «d'unification des mesures» est présenté par Talleyrand à l'Assemblée constituante en 1790. L'unité de temps n'est pas en cause, les astronomes étant les «maîtres du temps », comme on disait, et ne soulevant pas de questions à son sujet. L'établissement de l'unité de masse va être confié à Lavoisier, qui mènera une partie de ses recherches à l'Observatoire. La nature physique de l'unité de longueur est encore à définir : va-t-on se rattacher à la longueur du pendule battant la seconde, ou à une fraction définie du méridien terrestre ?
Cassini et Borda mènent les études sur le pendule à l'observatoire, en 1792; elles serviront à la détermination de l'intensité de la pesanteur mais, pour l'unité de longueur, c'est la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre que l'on adopte. Le choix va entraîner de nouvelles opérations géodésiques : il s'agit de reprendre la méridienne de Cassini en la vérifiant à l'aide d'instruments modernes, et de l'étendre vers le sud. Nous avons vu la part que Méchain, Delambre et Arago ont pris à ce travail.
La loi du 10 septembre 1799 sanctionna définitivement le nouveau système des Poids et Mesures, dont la responsabilité avait entre-temps été confiée totalement au Bureau des longitudes. L'arrêté consulaire du 24 septembre 1803 décida ensuite : « Les étalons du mètre et du kilogramme, et de toutes les règles qui ont servi aux diverses mesures de la Terre par les astronomes français, seront déposés à l'observatoire National, sous la surveillance du Bureau des longitudes.»
Ce dépôt, qui incluait tous les appareils ayant servi aux mesures, fut fait, et est en grande partie conservé aujourd'hui. Les étalons primaires étaient en réalité déposés aux Archives, et ce sont des doubles que l'Observatoire eut à conserver (l'exemplaire des Archives faisant foi) ; la comparaison des étalons de l'Observatoire et des Archives s'effectuera à différentes reprises mais, jusqu'au milieu du siècle, la précision des mesures (de l'ordre du millième de gramme ou de millimètre) ne permit pas de déceler des écarts bien significatifs.
Parmi beaucoup de recherches non astronomiques (magnétisme, électricité atmosphérique, météorologie) faites à l'Observatoire au cours de la période étudiée ici, figurent les classiques découvertes d'Arago, notamment en électromagnétisme et sur la polarisation.
Mais, directement en rapport avec l'astronomie, il faut relever l'extraordinaire fécondité du génie de Foucault qui, au cours des deux seules années 1850 et 1851, se traduit par trois travaux fondamentaux.
Foucault met au point la technique de l'argenture chimique des miroirs de verre; c'est une révolution pour l'emploi du télescope dont le miroir en métal, vite terni et déformable, limitait considérablement le rendement jusqu'ici. Il matérialise l'effet de la rotation de la Terre par son pendule dit par la suite «de Foucault», qu'il installe dans la grande salle méridienne de l'Observatoire, à 11 mètres du sol, après une expérience à échelle réduite dans sa maison de la rue d'Assas, et avant la démonstration publique faite sous la voûte du Panthéon. Enfin il réalise, sur une idée émise par Arago en 1838, une détermination de la vitesse de la lumière à l'aide d'un petit miroir tournant mû par une turbine à air comprimé. Cette mesure, faite à l'intérieur même d'une salle (encore la salle méridienne) et non par des visées à distance comme dans les mesures classiques, sera extrêmement précise en 1862, et inspirera les célèbres expériences de Michelson qui déclencheront les recherches sur la relativité ; mais dès 1850 il peut démontrer que la vitesse est plus grande dans l'air que dans l'eau, expérience cruciale en faveur de la théorie ondulatoire de la lumière énoncée par Fresnel.
Géodésie, mécanique céleste, physique expérimentale et fondamentale, avec des résultats marquants ou prestigieux dans chaque branche, cela ne laissait guère de temps aux astronomes du Bureau des longitudes pour des observations «de routine». Quant aux aides, il y en aura un à partir de 1798 et, jusque vers 1834, un autre par intermittence... Aussi les instruments de position, tels les grands Quarts-de-cercle muraux de Bird et de Sisson, ou le grand Cercle azimutal donné par Laplace en 1811, sont-ils pratiquement inemployés; on se borne surtout aux observations quotidiennes nécessaires à la détermination astronomique de l'heure. La situation ne change que lorsque Arago est nommé Directeur des observations en 1834. Il dispose dès cette année d'une lunette méridienne construite par Gambey, et il a des élèves observateurs pour l'exécution d'un programme sérieux, relatif aux étoiles brillantes et aux corps du système solaire.
Mais le plus important de l'action d'Arago concerne l'astronomie équatoriale. Il n'y avait alors qu'un équatorial de 10 centimètres, de Gambey également, d'ailleurs excellent et suivant la rotation diurne par mouvement d'horlogerie; il avait remplacé en 1826 un instrument plus petit qui avait servi à Bouvard pour ses observations des comètes et de la libration de la Lune. Arago avait un plan de travail excédant les possibilités de l'équatorial de Gambey : recherche de parallaxes stellaires, résolution des nébuleuses en étoiles, physique des planètes et des satellites, orbites des étoiles doubles en vue de la détermination des masses stellaires, observation des comètes pour suivre leur évolution lointaine.
A partir de 1845, Arago va procéder à la réalisation de la grande coupole qui surmonte la tour est du bâtiment, et à celle de la monture de la grande lunette équatoriale qui y sera installée. Ce dernier instrument, qui existe toujours, a un objectif de 38 centimètres et une distance focale de 9 mètres ; il était l'un des plus grands réfracteurs de l'époque. Ne pouvant faire supporter son poids à la voûte qui coiffe la tour, on le fit reposer sur une armature de poutrelles métalliques ancrée sur la paroi circulaire : cette armature est un chef-d'oeuvre de métallurgie. La lunette, elle, ne fut achevée qu'en 1855 après la mort d'Arago; son support parallactique avait à lui seul coûté 90000 francs.