Comprendre > Histoire > Observatoire de Paris XVII
Le décès de Le Verrier marque pour l'Observatoire le début d'une période s'étendant sur trois quarts de siècle, qui présente une certaine unité malgré l'évolution rapide des connaissances et le progrès des techniques : six directeurs vont se succéder, en fonction de dix à quinze ans sauf pour deux d'entre eux; tous apporteront au moins une innovation durable (du domaine de l'astronomie fondamentale ou de la mécanique céleste), et tous sont à l'origine ou au coeur d'importantes actions à caractère international. Celles-ci seront présentées plus loin, après qu'aura été brièvement passée en revue l'activité de l'Observatoire sous les directions successives.
Les tâches de service, nécessaires et peu gratifiantes, se poursuivent. L'Astronomie méridienne (détermination de l'heure, catalogues de positions d'étoiles) dispose de trois instruments anciens situés dans l'aile est de l'Observatoire; puis bientôt d'un cercle méridien de haute précision, installé dans un bâtiment élevé dans le jardin; et enfin, dans des pavillons voisins de ce dernier, de deux lunettes des passages, lunette Gautier-Prin en 1910 et lunette Bouty en 1922. Le cercle méridien du jardin sera plusieurs fois modernisé (son activité, particulièrement importante après 1945, cessera en 1961 : à ce moment est décidée une modification du bâtiment assez délabré, modification qui, faute de crédits pour la réaliser complètement, va rendre les observations trop laborieuses pour être poursuivies avec succès).
Un instrument de campagne pour la géodésie, appelé astrolabe par son inventeur Claude, est représenté par deux exemplaires, acquis en 1911 et 1914 : il sert aux déterminations de l'heure et de la latitude, est encore peu précis mais va bientôt faire l'objet d'études en vue de son emploi effectif en astronomie.
Le grand équatorial de la tour de l'est va être utilisé quelque temps à la planétographie visuelle, mais s'oriente déjà vers l'observation des étoiles doubles, à laquelle il est encore apte aujourd'hui : il s'agit d'une tâche ingrate mais essentielle, car toutes nos connaissances sur les masses de l'Univers reposent, par rattachements successifs, sur les masses issues de l'analyse des orbites, patiemment construites, d'un trop petit nombre d'étoiles doubles.
Alors que les missions de l'Observatoire se multiplient, l'effectif scientifique diminue; ainsi, de 26 personnes en 1879, il est tombé à une vingtaine en 1926. À cette date il y a 6 auxiliaires comme en 1879, mais en plus 6 calculateurs et une dizaine de stagiaires non rétribués. Le service administratif reste squelettique : il se borne à un secrétaire, ce qui mettra souvent le directeur dans l'incapacité de poursuivre ses travaux scientifiques après sa nomination.
Pour exposer leurs recherches, les astronomes disposent des publications régulières de l'Observatoire : les Annales créées par Le Verrier, dont les Observations se poursuivent jusqu'en 1906 et les Mémoires jusqu'en 1925; puis le Bulletin astronomique, trimestriel, créé en 1884. S'y ajoutent des publications spécialisées, tels le Catalogue de Paris (positions de 50 000 étoiles du catalogue de Lalande) achevé en 1933, les publications relatives à l'entreprise de la Carte du ciel (6 volumes de procès-verbaux et 7 volumes de bulletins), et le Catalogue photographique lui-même, en 7 volumes publiés de 1902 à 1933, l'Atlas photographique de la Lune, etc.
Ernest Barthélemy Mouchez, né à Madrid le 24 août 1821, était officier de marine. Hydrographe, explorateur en Amérique du Sud; il construisit plus de cent cartes côtières ou marines en Asie, en Afrique et en Amérique. Il fit progresser la détermination astronomique des coordonnées géographiques, améliorant l'emploi du théodolite et adaptant à la mer les instruments terrestres. Il participa à la campagne organisée pour le passage de Vénus devant le Soleil du 9 décembre 1874 : le phénomène a un rôle important pour la détermination de la distance Terre-Soleil, et les observations visuelles qu'il obtint à l'île Saint-Paul (océan Indien), dans des conditions difficiles, furent appréciées.
Contre-amiral en 1878, Mouchez fut nommé directeur de l'Observatoire la même année, le 26 juin. Il déploya jusqu'à sa mort de réels talents d'organisateur, procurant à ses astronomes les moyens nécessaires à leurs travaux, encourageant les initiatives, accroissant le rendement des observations par une discipline intelligente.
Le cercle méridien du jardin, dû à la libéralité du banquier Bischoffsheim en 1878, sera équipé avec soin, et étudié sous son contrôle direct. Sur la base des travaux d'astronomie photographique des frères Henry, il sera le promoteur de l'opération internationale de la Carte du ciel. Il n'est pas étranger à l'oeuvre de deux astronomes qui seront ses successeurs : Loewy, dont il a fait construire les équatoriaux coudés, et Deslandres, qu'il appela à l'Observatoire en vue de la spectrographie du Soleil, avec le succès que l'on sait.
Il a réorganisé la distribution télégraphique de l'heure à la Ville de Paris, et suscité cette distribution à la province. Il a créé à l'Observatoire, dès sa venue, un musée astronomique qu'il a enrichi jusqu'à sa mort en obtenant des dons ou des subventions. C'est sous sa direction que fut mise en place, dans la cour nord, la statue de marbre de Le Verrier : taillée par le sculpteur Chapu grâce à une subvention internationale qui avait réuni plus de 30.000 francs, elle fut inaugurée le 27 juin 1889 en présence d'Armand Fallières, futur président de la République et alors ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.
L'amiral Mouchez mourut le 25 juin 1892 dans sa propriété de Wissous, quelques heures après avoir présidé le Conseil de l'Observatoire.
François-Félix Tisserand est né le 15 janvier 1845 à Nuits-Saint-Georges. C'est Le Verrier qui fait nommer comme astronome adjoint, en 1866, cet agrégé sortant de l'école normale supérieure : il lui demande d'étudier la théorie de la Lune de Delaunay, avec l'espoir - qui fut déçu - que le jeune mathématicien y décèlerait des erreurs...
En 1868, sa thèse de doctorat achevée, il participe à la mission d'éclipse solaire envoyée à Malacca, puis est attaché successivement au service méridien, au service géodésique et à celui des équatoriaux. Nommé en 1873 directeur de l'Observatoire de Toulouse, qu'il équipe et organise, il reprend ses recherches théoriques et est appelé cinq ans plus tard à la Faculté des sciences de Paris; il occupera la chaire de mécanique céleste à partir de 1833.
L'année suivante il fonde le Bulletin astronomique, avec l'amiral Mouchez qui l'édite à l'Observatoire cependant que lui-même assure la direction de la publication; il y accueillera notamment d'importants articles d'Henri Poincaré.
L'oeuvre capitale de Tisserand est son Traité de mécanique céleste, publié entre 1889 et 1896. Ses propres travaux sont incorporés à cette somme des connaissances de l'époque qui, par sa précision et son élégante clarté, forme encore de nos jours la base de l'enseignement de la mécanique céleste classique. Son nom est également attaché à la formule d'un invariant, le critère de Tisserand, qui permet de savoir si une comète nouvelle peut s'identifier à une comète anciennement observée, même si l'orbite de celle-ci a subi entre-temps de grandes perturbations.
Tisserand, pendant sa courte direction à Paris, a apporté le poids de son autorité scientifique aux entreprises menées à l'Observatoire; malgré ses charges et son travail personnel, il suivait toutes les recherches de près et veillait à l'équipement technique. Dès la parution du dernier volume de son Traité, il décida d'assurer les fonctions de chef du service méridien, en vue d'instaurer un programme d'observations relatif à la déclinaison des étoiles fondamentales. Mais peu après, le 19 octobre 1896, une congestion cérébrale le frappa au soir d'une journée de travail; il mourut à l'aube, le lendemain.
Maurice Loewy est né en territoire tchèque, vers Marienbad (l'actuelle Marianskelanske), le 15 avril 1833, dans une famille israélite vivant en Hongrie avant de s'installer à Vienne pour fuir les persécutions. Il avait alors huit ans et fut profondément marqué par les drames qu'il vécut dans sa jeunesse.
Il est assistant à l'Observatoire de Vienne en 1856 et se fait remarquer par ses premiers travaux de mécanique céleste. Mais il n'a pas d'avenir sur place : dans l'empire austro-hongrois les juifs ne peuvent accéder à l'enseignement supérieur sans se convertir au catholicisme. Le directeur de l'Observatoire de Vienne, K.L. Littrow, est en rapport avec Le Verrier; c'est probablement lui qui a obtenu de Le Verrier que celui-ci appelle Loewy à Paris, où il arrive le 15 août 1860, alors âgé de vingt-sept ans.
Il va d'abord poursuivre ses recherches sur les déterminations d'orbites, de comètes et de petites planètes. C'est aussi un observateur infatigable. Il se spécialise bientôt dans les travaux d'astrométrie (recherches instrumentales et théoriques, opérations de détermination de longitudes, etc.) qu'il poursuivra jusqu'à sa mort. Sa réalisation la plus connue est celle d'un nouvel instrument équatorial, appelé ultérieurement coudé, décrit en 1872 et dont six modèles seront construits dans le monde : le premier, doté d'un objectif de 27 centimètres, et le second, de 60 centimètres, équiperont l'observatoire respectivement en 1882 et 1890.
C'est le grand équatorial coudé, installé dans un bâtiment de pierre dans la partie ouest du jardin, qui a servi à construire le célèbre Atlas de la Lune (1896-1910) dont les magnifiques planches photographiques ont permis pendant un demi-siècle d'illustrer nombre d'ouvrages d'astronomie publiés dans le monde entier. Il a été ensuite utilisé, assez difficilement, à des travaux d'astrophysique (spectrographie notamment), et son objectif visuel de 60 centimètres, dû aux frères Henry, sert actuellement à l'Observatoire du Pic-du-Midi. L'instrument a été transféré, à titre historique, au musée de La Villette en 1982.
Loewy avait été nommé sous-directeur de l'Observatoire en 1878 (ce poste, obtenu par l'amiral Mouchez, n'aura eu que deux titulaires : il disparaîtra lors de la retraite d'A. Gaillot, en 1903). Nommé directeur en 1897, il poursuivra son activité scientifique et prendra une part active à l'entreprise de la Carte du ciel. Il mourut le 15 octobre 1907, en pleine séance du Conseil des Observatoires.
Benjamin Baillaud, né à Chalon-sur-Saône le 14 février 1848, est professeur agrégé de mathématiques lorsqu'il entre dans les cadres scientifiques de l'Observatoire en 1874. Après une thèse de doctorat de mécanique céleste, puis un enseignement à la Sorbonne comme suppléant de Le Verrier alors malade, il est appelé à Toulouse en 1879; là se déroule la première partie de sa carrière.
Directeur de l'Observatoire et professeur à la Faculté des sciences de la ville, il donne aux deux établissements une profonde impulsion, y attire des collaborateurs et des enseignants de talent, crée des publications scientifiques, fait jouer à l'Observatoire un rôle important (qu'il conservera) dans l'entreprise de la Carte du ciel.
Nommé en janvier 1908 à la direction de l'Observatoire de Paris, il continue à déployer ses qualités d'organisateur, d'administrateur et d'animateur. On verra plus loin qu'il est à l'origine de la création du Bureau international de l'heure. Les contacts internationaux pris à propos des problèmes de l'heure, comme déjà à l'occasion de la direction de la Carte du ciel, lui assurent une réputation mondiale, dont l'Observatoire bénéficie. Il est d'office élu président de l'Union astronomique internationale à la création de celle-ci; il est d'ailleurs à l'origine de la création, en 1919, des Unions scientifiques internationales, dénomination qui lui est due. Il se voit attribuer en 1923 la médaille Bruce, qui est la plus haute récompense américaine décernée en astronomie.
Un de ses projets, la rénovation de l'équipement astronomique français, passe par la réalisation de grands miroirs : c'est là un travail d'astronome se spécialisant dans l'optique (ou plus rarement, d'opticien devenant astronome). Baillaud accueille dans ce dessein, en 1924, l'astronome américain Ritchey; grâce à la générosité de deux mécènes, les époux Dina, on peut se procurer le coûteux outillage nécessaire, et le laboratoire d'optique est installé dans la grande salle méridienne dite de Cassini, au deuxième étage. Issu de l'Institut d'optique, André Couder s'initie au travail dès 1925 et y acquiert vite une réputation mondiale; on lui doit désormais, et jusqu'à sa retraite en 1968, la plupart des parties optiques des instruments français, de l'astrolabe de 6 centimètres d'ouverture au télescope de 193 centimètres qui équipe l'Observatoire de Haute-Provence.
Couder n'ayant pas eu de successeur, le laboratoire n'a pas subsisté. La salle monumentale, ainsi libérée, a été débarrassée de tous les vestiges laissés depuis un siècle ou plus à la suite des études expérimentales qui s'y livraient; elle a été remarquablement restaurée en 1984, et elle peut maintenant être visitée.
Baillaud se retire à Toulouse en 1927, continuant à écrire des ouvrages astronomiques. Il rédige une étude sur l'histoire des observatoires français encore quelques jours avant sa mort, qui survient le 8 juillet 1934.
Henri Deslandres, né à Paris le 24 juillet 1853, travaillait au laboratoire de Cornu, à I'Ecole polytechnique, et était déjà un physicien confirmé lorsqu'en 1889 l'amiral Mouchez fait appel à lui. Il s'agit d'introduire l'astronomie physique à l'Observatoire de Paris, jusque-là voué à la mécanique céleste et à l'astronomie de position.
Dans le service de spectroscopie astronomique créé pour lui, Deslandres se distingue rapidement; il associe au sidérostat de Foucault un spectroscope adapté à la photographie du Soleil, créant ainsi un spectrohéliographe expérimental. Son véritable spectrohéliographe date de 1894; l'appareil a aussi été inventé, indépendamment et en même temps, par l'astronome américain George Hale.
Cependant qu'il observe le Soleil, et propose déjà une surveillance régulière de sa chromosphère (qui ne sera mise en oeuvre que bien plus tard), Deslandres effectue des mesures de vitesses radiales, notamment sur les planètes, à partir du déplacement des raies spectrales. À cette fin, il équipe d'un spectrographe le télescope de 120 centimètres installé dans le jardin depuis 1871 (ce télescope, dû à Foucault, avait un miroir trop mince pour résister aux déformations, et n'a guère été utilisé. Il a été transporté pendant la Seconde Guerre mondiale à l'Observatoire de Haute-Provence avec sa monture d'origine, laquelle, plus d'un siècle après sa construction, équipe maintenant le télescope moderne de 120 centimètres de cet observatoire); il étudie ainsi la rotation de l'anneau de Saturne, et celle de Jupiter et d'Uranus.
En 1897 Loewy accepte le transfert de Deslandres à Meudon. L'Observatoire de Meudon a été fondé en 1876 par Janssen et celui-ci, vieillissant, a besoin de quelqu'un pour le seconder. À la mort de Janssen, en 1907, Deslandres devient directeur de l'établissement.
Pendant un demi-siècle il y aura eu peu de relations entre les observatoires de Paris et de Meudon, dont les spécialisations sont différentes et dont les directeurs sont soucieux de leurs prérogatives. En 1926, lorsque la direction de Paris devient vacante, un décret pris le 1er octobre réunit les deux établissements en un seul, dénommé " Observatoire de Paris " mais néanmoins nouveau. Cela permet de lui désigner un directeur par décret et sans vote des Conseils, directeur qui est évidemment Deslandres, ex-directeur de Meudon, à dater du 1er janvier 1927; solution autoritaire heureuse pour le problème pendant, mais qui s'accompagne de la suppression de quatre postes scientifiques et administratifs alors vacants, au détriment du développement de l'établissement.
Le nouveau directeur arrive à Paris avec le projet de transférer à Meudon tous les instruments, ne laissant sur place que l'administration, le musée, le bureau de calculs et celui des mesures astrographiques, les laboratoires, et nécessairement le Bureau international de l'heure. Inutile de dire qu'il n'y a, pas plus à son départ en 1929 que par la suite, aucun commencement d'exécution de ce projet. Les conséquences du rattachement sont de réduire l'isolement des chercheurs de Meudon, de faciliter l'implantation des recherches à l'endroit convenable, et d'accroître le prestige du directeur qui redevenait, comme du temps de Le Verrier, le représentant incontesté de l'astronomie française.
Deslandres, qui prend sa retraite le 1er novembre 1929, meurt le 15 janvier 1948. Spécialiste de la physique expérimentale à laquelle il a beaucoup apporté par ses observations et ses innovations (il a inventé la Table équatoriale, qui permet d'installer côte à côte plusieurs appareils astronomiques), il est aussi le premier à avoir prévu dès le début du siècle, l'existence d'un rayonnement du Soleil dans le domaine des ondes radioélectriques, rayonnement qui ne sera détecté qu'en 1942.
Ernest Esclangon, né à Mison (Alpes-de-Haute-Provence) le 17 mars 1876, s'est éminemment distingué dans le domaine des mathématiques appliquées, après avoir effectué pour sa thèse de doctorat (1904) un travail de mathématiques pures qui demeure à la base de l'emploi des fonctions quasi-périodiques en physique mathématique. Il traitait les problèmes qui se posaient à lui, ou qu'on lui posait, avec une rare efficacité. Il a abordé ainsi la mécanique céleste, la relativité, l'astronomie de position, la chronométrie, l'aérodynamique, la balistique.
C'est lui qui, dès le second mois de la Première Guerre mondiale, eut le premier l'idée du repérage par le son des batteries d'artillerie; sa méthode a été appliquée (1916) avec grand succès, et il l'a lui-même étendue à la détection acoustique aérienne et à la détection des sous-marins.
Astronome à l'Observatoire de Bordeaux depuis 1899, directeur de celui de Strasbourg à la libération de l'Alsace en 1918, il est nommé en 1929 directeur de l'Observatoire de Paris, où il est amené à s'intéresser de près aux problèmes du temps. Il a laissé son nom à deux réalisations pratiques : une horloge à deux cadrans donnant le temps moyen et le temps sidéral par combinaisons d'engrenages, et surtout l'horloge parlante, dont il est le créateur.
Les observatoires ont traditionnellement mission de fournir l'heure exacte au public; un agent était consacré à ce service, répondant avec plus ou moins de précision aux appels téléphoniques. Pour s'affranchir de cette servitude, Esclangon va exploiter le procédé du film parlant, récemment inventé. Son horloge a une partie " parlante ", composée de pistes sonores enroulées sur un cylindre et de têtes de lecture photoélectriques se déplaçant automatiquement, et une partie horaire, constituée par les tops provenant d'une horloge fondamentale contrôlée par comparaison avec les déterminations astronomiques de l'heure. Le 14 mars 1932, l'appareil est présenté à l'Académie des sciences.
L'horloge parlante est mise en service public le 14 février 1933; il y aura ce jour-là 140.000 appels téléphoniques, dont 20.000 seulement pourront être satisfaits par les 20 lignes attribuées. La précision des tops est le dixième de seconde (le millième aujourd'hui à l'émission, le cinquantième à la réception). Première construite dans le monde, elle demeure la plus précise, et intéresse le public comme à ses débuts : en deux jours (les 16 et 17 avril 1983), les visiteurs admis à l'occasion de son cinquantenaire ont été plus de deux mille à venir contempler " l'ancêtre " et les trois nouvelles machines qui l'ont progressivement remplacé (sans que le principe en ait été modifié).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il était impératif d'assurer la permanence du Service horaire. Celui de l'Observatoire de Bordeaux, récemment rééquipé, pouvait y pourvoir en cas de besoin et c'est sur Bordeaux que se replièrent Esclangon et une partie du personnel, en ordre dispersé, à partir du 9 juin 1940. Mais le Service horaire de Paris resta en fonctionnement (c'était d'ailleurs la seule activité subsistant), sous la direction d'Armand Lambert qui est alors directeur de l'Observatoire par intérim.
L'Observatoire retrouve son activité à peu près normale après l'armistice de 1940 et pendant les années suivantes, Un chauffage parcimonieux sera même possible en hiver grâce au bois coupé dans le domaine de Meudon, où d'ailleurs le personnel se verra attribuer des parcelles pour la culture maraîchère : il s'y rend à bicyclette, voire à pied. Les observateurs de nuit se voient délivrer des laissez-passer.
Rappelons la fin tragique de Lambert. Juif et portant l'étoile jaune, il refuse de se mettre à l'abri afin de pouvoir assurer la continuité du travail du Bureau international de l'heure; malgré cette mission officielle, il est arrêté en 1943 à son domicile du 99, boulevard Arago, et ne reviendra pas du camp d'Auschwitz.
Esclangon partit en retraite à la fin de 1944; il se retira à Eyrenville, en Dordogne, ou il s'éteignit le 28 janvier 1954. Simple et affable, il avait su brillamment représenter l'astronomie française. Il présida l'Union astronomique internationale de 1935 à 1938, et il eut l'honneur d'en accueillir l'Assemblée générale à Paris, en 1935. Pour cette importante manifestation, marquée notamment par une réception des congressistes, à I'Elysée, par le président Lebrun, il organisa une grandiose cérémonie à l'Observatoire, illuminé sur ses deux façades. C'est d'ailleurs la dernière fois qu'un bal s'est tenu dans l'établissement (plus précisément dans la grande galerie). Aujourd'hui encore, l'événement fait date parmi ces Assemblées trisannuelles qui se tiennent depuis 1922.
La première opération scientifique mondiale, recueillant la collaboration de chercheurs issus de tous les pays développés, est probablement celle qui, en 1751, fut organisée à l'occasion de l'opposition périhélique de Mars.
Ce sont encore des astronomes qui réalisèrent la première entreprise internationale permanente (elle a duré plus de trois quarts de siècle) : la Carte du ciel (nom français qui est utilisé, tel quel, dans toutes les langues du monde).
Fort de l'organisation de celle-ci, l'Observatoire de Paris va jouer un rôle moteur dans les entreprises internationales ultérieures; avant la fin de la période étudiée dans le présent chapitre, l'établissement de chartes internationales et la pratique d'une administration scientifique collégiale seront entrés définitivement dans les moeurs de la recherche astronomique.
Les frères Prosper et Paul Henry, astronomes à l'Observatoire, avaient résolu les problèmes que posait l'astrométrie photographique. Leur astrographe, achevé en 1885, est un équatorial formé de deux lunettes accolées et de même longueur, l'objectif principal (de 33 centimètres) étant photographique - il est corrigé pour la lumière violette - et l'autre objectif servant au contrôle visuel de l'entraînement.
Les performances de cet appareil engagèrent l'amiral Mouchez à convoquer, sous le couvert de l'Académie des sciences, un Congrès international en vue de l'établissement d'une carte générale du ciel. Ce congrès, réuni en 1887 à l'Observatoire, décida que la carte comprendrait toutes les étoiles jusqu'à la magnitude 14, et que lui serait adjoint un catalogue des positions des étoiles jusqu'à la magnitude 11. Le travail fut réparti entre 18 observatoires, chacun étant équipé d'un instrument identique à celui qu'avaient construit les frères Henry.
Un Comité permanent, chargé de suivre l'évolution des travaux, qui étaient coordonnés par le directeur de l'Observatoire de Paris, se réunit à Paris en 1889, 1896, 1900 et 1909. Après la guerre, c'est à l'Union astronomique internationale qu'incomba le contrôle de l'entreprise; celle-ci fut dirigée d'abord par H. Turner (Observatoire d'Oxford) jusqu'en 1930, puis de nouveau depuis Paris avec Esclangon, Jules Baillaud (fils de Benjamin Baillaud), et enfin Paul Couderc. Il avait été prévu, pour permettre la détermination des mouvements propres des étoiles, de reprendre les clichés aux alentours de 1950, de sorte que l'opération ne fut close qu'en 1970.
Les documents réunis, qui fixent l'état du ciel à des époques déjà anciennes, ont une valeur d'archives inestimable; pour les besoins de l'astronomie spatiale on entreprend actuellement, dans plusieurs pays, de remesurer les clichés par des techniques modernes expéditives et de haute précision.
Les travaux scientifiques reposent sur l'emploi de constantes numériques pour lesquelles chacun, autrefois, choisissait la valeur qu'il estimait la meilleure; d'où la difficulté de confronter les résultats de ces travaux, et l'intérêt d'une normalisation. À l'occasion de la conférence astrographique de 1896 (relative à la Carte du ciel), le Bureau des longitudes réunit à Paris une autre conférence, qui eut la charge de construire un système de constantes astronomiques fondamentales; elle le fit sur la base des études de l'astronome américain Simon Newcomb que nous avons vu à l'Observatoire de Paris, pendant la guerre de 1870, en compagnie de Delaunay. La qualité de ce système est attestée par le fait qu'aucune modification n'y fut apportée avant 1964.
L'une de ces constantes, la parallaxe solaire, était encore assez mal définie. Son importance tient à ce qu'elle traduit la distance Terre-Soleil, distance qui régit toutes les dimensions dans le système solaire et dont, dès la fin du XVIIème siècle, Richer, Cassini, Picard avaient obtenu la première estimation valable (trouvant pour la parallaxe solaire la valeur de 9".5).Les astronomes de l'Observatoire de Paris préparèrent à ce sujet l'observation de la petite planète Eros, récemment découverte, qui s'approchait assez de la Terre pendant les six mois suivant octobre 1900 pour permettre une détermination de sa parallaxe (d'où la parallaxe solaire se déduirait).
Une extension de ce projet fut proposée à la Conférence astrographique de 1900 par Loewy, sous la forme d'une nouvelle opération internationale. La Conférence le suivit : elle mit à son programme la Campagne internationale d'observation d'Eros. Cinquante-huit observatoires acceptèrent d'y participer; la prise des clichés fut suivie, pendant plusieurs années, d'observations d'étoiles nécessaires pour le raccordement de ceux-ci, la centralisation et les calculs de mécanique céleste étant faits à l'Observatoire. de Paris. La synthèse finale ne survint qu'après la mort de Loewy (1907), conduisant à la valeur de 8".806 pour la parallaxe solaire (valeur admise actuellement 8".794).
Dès 1903 le succès de l'opération était acquis et Loewy, son principal artisan, pouvait écrire : " Cette campagne internationale, réalisée avec une discipline remarquable suivant un plan arrêté d'avance, offre un exemple sans égal de la solidarité pleine de désintéressement avec laquelle tous les savants de tous les pays ont collaboré d'une manière intime à une même oeuvre de progrès. "
Baillaud saura achever l'oeuvre de ses prédécesseurs. Le Congrès international des éphémérides astronomiques, qui se réunit à l'Observatoire en 1911 sur sa proposition, va non seulement coordonner le travail des responsables des cinq grandes éphémérides nationales (Allemagne, Angleterre, Espagne, Etats-Unis, France), mais codifier pour l'avenir la présentation des catalogues d'étoiles et recueils d'observations. C'est Henri Andoyer, du Bureau des longitudes, qui avait initialement exprimé la nécessité de ce congrès dont il fut d'ailleurs chargé d'établir le programme. Les navigateurs qui utilisent aujourd'hui les éphémérides nautiques ou aéronautiques ignorent certainement les noms d'Andoyer et de Baillaud, auxquels ils doivent l'homogénéité des documents qu'ils consultent quotidiennement.
L'unification nationale de l'heure découle du développement du chemin de fer (auparavant déjà les horaires des trajets en diligence, devenus précis, faisaient apparaître des écarts de durée entre l'aller et le retour, du fait de l'emploi des heures locales). En France l'unification date de 1891, et impose l'heure du méridien de Paris.
La transmission de l'heure s'effectuait par télégraphe. La télégraphie sans fil permit la diffusion des signaux horaires dès qu'ont abouti les études que menait le général Ferrié (ayant à l'époque le grade de commandant) en collaboration avec Baillaud. À partir du 23 mai 1910 des signaux commandés depuis l'Observatoire sont émis par la Tour Eiffel, et un service régulier commence le 21 novembre. Des essais sont faits dans d'autres pays, et une harmonisation est souhaitée pour les besoins de la navigation.
Une conférence internationale se réunit à l'Observatoire en 1912. Elle propose la création d'un Bureau international de l'heure et, sur la base de l'expérience acquise par Baillaud, demande à celui-ci d'en être le directeur à partir de 1913 : on comprendra que ce service, apparemment technique, soit entre les mains des astronomes, en se rappelant que ceux-ci déterminent l'heure et seront seuls, longtemps encore, à pouvoir étudier la qualité des garde-temps, des transmetteurs de signaux et des anomalies de la propagation des ondes.
Pendant la guerre de 1914-1918, Baillaud, qui avait fait démonter et mettre en sécurité les grands instruments de l'Observatoire, conserva en fonctionnement à Paris ce qui avait trait à la détermination et à la diffusion de l'heure, et par précaution fit installer un service analogue à La Doua (près de Lyon). C'est seulement depuis le 26 juillet 1919 que le Bureau international de l'heure (BIH) existe officiellement; son siège est à l'Observatoire de Paris; sa mission est de centraliser (grâce à la réception mutuelle de tous les signaux horaires) les déterminations de l'heure faites dans le monde, de les analyser, et d'en déduire l'échelle de Temps universel (sous, la forme de corrections aux signaux horaires ou aux observations analysées). La direction du BIH sera confiée au directeur de l'Observatoire à partir de 1929, mais c'est Bigourdan qui l'a exercée de 1919 à 1929, après le mandat officieux que Baillaud avait rempli de 1913 à 1919.
Parmi les travaux scientifiques menés au BIH, la découverte des irrégularités saisonnières de la rotation terrestre tient une place à part. Elle est due à Nicolas Stoyko qui, en 1936-1937, sut le premier tirer parti de la stabilité en fréquence des étalons à quartz, nouvellement entrés dans les services horaires des observatoires. Si la variation de la durée du jour est faible (deux millièmes de seconde au cours de l'année), son effet sur l'échelle du temps est d'introduire une inégalité annuelle de l'ordre du dixième de seconde, ce qui est considérable pour un certain nombre d'utilisateurs scientifiques de l'heure.
Saisonnières, donc météorologiques et par suite imprévisibles avec précision, ces variations se distinguaient des inégalités à long terme déjà connues; elles rendaient la rotation de la Terre définitivement impropre à définir l'unité de temps et son échelle. Cela a conduit à introduire d'abord le Temps des éphémérides (1960), fondé sur le mouvement apparent du Soleil et que, le premier, Danjon avait envisagé en 1927; puis le Temps atomique, où la seconde n'est plus d'origine astronomique mais dérive de la fréquence d'un étalon à césium (1967 pour l'unité de temps, 1971 pour son échelle).
L'existence du BIH s'est achevée le 1er janvier 1988. Deux organismes distincts lui sont désormais substitués : le Service international de la rotation terrestre, dont le Bureau central a son siège à l'Observatoire de Paris, et un service chargé, de l'élaboration du temps atomique international, qui forme la Section " Temps " du Bureau international des poids et mesures (Pavillon de Breteuil, à Sèvres).
La position d'un point sur la Terre est déterminée par sa latitude, qui se mesure localement, et par sa longitude, rapportée à un méridien origine et qui ne peut se mesurer qu'en rattachant les lieux de proche en proche (on détermine astronomiquement l'heure locale des stations et on effectue un transport d'heure entre elles). Astronomes et géodésiens fournissent cette position, mais sont aussi utilisateurs des résultats, respectivement, pour le rattachement, de leurs observations astronomiques et celui de leurs mesures sur le terrain.
L'unification de l'heure (Temps universel et fuseaux horaires) exige le raccordement en longitude des observatoires déterminant l'heure locale; elle n'était concevable que du moment où les transports d'heure par télégraphe étaient réalisables. C'est ainsi que, de 1902 à 1914, des opérations furent menées pour déterminer avec précision l'écart de longitude entre l'Observatoire de Paris et ceux de Greenwich, Bizerte, Uccle (Bruxelles) et Washington.
Lorsque les signaux horaires radiotélégraphiques furent devenus d'emploi courant, une opération cohérente mondiale s'imposa. Une commission émanant des unions internationales concernées (astronomie et géodésie), présidée par le général Ferrié, organisa l'opération des longitudes de 1926 : 42 stations réparties sur des " polygones circumterrestres " s'y consacrèrent pendant deux mois. L'Observatoire avait un rôle de centralisation et c'est Armand Lambert qui en fit l'analyse et en publia les conclusions en 1929. Des corrections allant jusqu'à 400 mètres furent décelées sur les longitudes antérieurement admises.
En 1933 l'opération fut rééditée, plus étendue, sous le contrôle officiel du BIH, donc du directeur de l'Observatoire de Paris. L'objet était de préciser les résultats antérieurs et, surtout, d'étudier les hypothèses relatives aux mouvements de la croûte terrestre (dérive des continents prévue par Wegener, effets des plissements sous-marins). Les 71 stations participantes travaillèrent sur les instructions issues des études menées à l'Observatoire, dont trois astronomes (Lambert, son successeur N. Stoyko et Mme Dubois) assurèrent la centralisation et l'analyse de l'opération, et publièrent de 1938 à 1952 les quatorze volumes en rendant compte.
La comparaison avec les résultats de 1926 ne fit apparaître aucun écart significatif de plus de 10 mètres (ce qui était aussi l'ordre de grandeur de la précision), alors que la théorie de Wegener prévoyait entre continents des déplacements qui, en 7 ans, auraient atteint de 10 à 140 mètres (on sait aujourd'hui que la dérive des continents existe, mais ne revêt ni l'intensité ni l'aspect prévus par Wegener).
Les astronomes ne sont pas seuls à développer leurs relations internationales. Un "Conseil interallié des recherches scientifiques" est à l'étude dès 1918, au cours de réunions tenues à Londres et à Paris, où sont présents Baillaud et un autre astronome de l'Observatoire, Bigourdan. Un organisme général, le Conseil international des recherches, sera créé en 1919. Il comprend plusieurs unions internationales, dont l'Union astronomique internationale (UAI). Baillaud, qui prit une grande part à la création de ces organismes et à l'établissement des statuts de MAI, présida cette Union jusqu'en 1922; deux de ses successeurs à l'Observatoire, Esclangon en 1935 et Danjon en 1955, seront à leur tour élus à la présidence de l'UAI.
De 1979 à 1989, le siège du Secrétariat général de l'UAI se trouvait à l'Observatoire : il y disposait de l'un des deux pavillons d'entrée (celui de l'ouest) construits par Vaudoyer en 1911.