Comprendre > Concepts fondamentaux > Mécanique céleste III
En 1905, A. Einstein (1879-1955) publie sa théorie de la relativité restreinte et, en 1916, celle de la relativité générale. La théorie de la gravitation de Newton a atteint ses limites. Des phénomènes ne sont pas expliqués et il y a nécessité de trouver mieux. Mais quelles implications vont avoir ces nouvelles théories dans la modélisation dynamique du système solaire ? Allons-nous mieux comprendre ce qu'est la gravitation ? Avant d'aborder les nouveautés introduites par ces nouvelles théories, revenons un peu sur la théorie de la gravitation de Newton et la Mécanique céleste qui a été construite sur ses bases.
La gravitation universelle est une découverte fondamentale du XVIIIème siècle. Tous les mouvements du système solaire semblent expliqués et la découverte de Neptune par Le Verrier va consacrer la Mécanique céleste construite sur ces bases.
Rappelons la loi de Newton :
F = -Gmm'/r2
où F est la force exercée l'un sur l'autre par deux corps
de masses respectives m et m' séparés d'une distance r. G
est appelée constante de la gravitation.
D'autre part, le principe d'inertie découvert par Galilée stipule qu'un corps qui se déplace sans interaction avec l'extérieur, continuera sur une trajectoire rectiligne indéfiniment. Newton ajoutera que le seul moyen de modifier cette trajectoire est d'utiliser une force : un objet subissant une force accélère d'une quantité inversement proportionnelle à la masse de l'objet dans la direction de la force.
La théorie de Newton explique aussi l'aplatissement du globe
terrestre et permet de décrire correctement les marées. On
avait bien pensé auparavant que la Lune pouvait attirer l'eau des
mers mais alors la marée aurait dû n'être haute que
du côté de la Lune. Newton l'explique : la Terre tourne autour
du Soleil, elle n'est pas dans un repère galiléen et subit
l'attraction de la Lune. Rien ne maintient la Terre pendant que l'eau monte
vers la Lune. Le différentiel des forces explique bien les marées
hautes de part et d'autre de la Terre. Enfin la gravitation universelle
ne s'applique pas qu'au système solaire mais à l'univers tout entier.
Dynamique, gravitation et mécanique céleste nous permettent
de décrire les mouvements dans le système solaire mais, avouons-le,
ils n'expliquent pas grand-chose. On est en présence d'une action
à distance. Pourquoi les corps s'attirent-ils ? Nul ne le sait.
Avant Newton, on pensait que des anges poussaient les planètes sur
leurs orbites; après Newton, on sait que les anges ne poussent pas
les planètes mais les tirent vers le corps central pour contrecarrer
le principe d'inertie! Aucun mécanisme n'a été mis
en évidence pour expliquer l'action de cette force.
Dans la formule de Newton ci-dessus, on remarque l'existence d'une constante
G. A quoi correspond-elle ? Quelle est sa valeur ? En fait, la mesure des distances
et des périodes dans le système solaire ne nous fournit que le
produit Gm de la constante G avec la masse du corps central. On connaît
donc G x (masse solaire) en mesurant les positions des planètes, G x
(masse terrestre) en mesurant le mouvement de la Lune, G x (masse de Jupiter)
en mesurant les positions des satellites de Jupiter, etc. La première
mesure de G a été faite par Cavendish (1731-1810) en 1798. Pour
cela il réalise une expérience désormais célèbre : il mesure l'attraction de deux boules de plomb de 150 kg chacune sur de petites
billes par l'intermédiaire d'un pendule de torsion. Il pourra dire :
j'ai pesé la Terre! La valeur conventionnelle de cette constante est
6,672 59 x 10-11 m3 kg-1 s-2 (précision
surabondante car au delà de 6,672 les décimales ne sont pas très
significatives...). Cette détermination nous permet de connaître
la masse des corps du système solaire et de résoudre des problèmes
tels que :
-quelle serait la durée de révolution d'une bille de
masse négligeable autour d'une masse d'un kilogramme situé
à un mètre dans l'espace ? Appliquant la 3ème
loi de Képler n2 a3 = GM soit a3/T2=GM/4π2
où a =1 m, M =1 kg, on a : T2 = 4π2/G
= 4π2/6,672 59 x 10-11
= 5,91663 x 1011 secondes2 d'où T = 7,692
x 105 secondes = 8 jours 21 heures et 40 minutes.
Une question se pose aussi : la constante de la gravitation est-elle
vraiment constante ou se modifie-t-elle au cours du temps ? Il a été
impossible de mesurer une variation de cette constante mais cette variation,
si elle existe, ne peut être que faible. En effet, en supposant que
cette constante ait varié de 10% au cours du dernier milliard d'années,
les conditions de rayonnement du Soleil auraient été telles
que la vie aurait été impossible sur Terre à cette
époque. La variation de cette constante ne peut donc être
que beaucoup plus faible que cela. Les mesures de position de la Lune par
tirs lasers nous donnent une variation de G telle que G'/G<10-12/an
Après avoir examiné la nature de la gravitation, venons-en au principe de relativité. Ce principe n'est pas récent. Dès les prémices de la mécanique, la question qui s'est posée est : les lois de la physique que l'on met à jour restent-elles invariantes dans n'importe quel référentiel ? Y-a-t-il un référentiel absolu ? C'est à cette question fondamentale que les théories de la relativité vont tenter de répondre.
Avant même la découverte de la gravitation universelle par Newton, Galilée énonce le principe de l'inertie : tout corps abandonné à lui-même et ne subissant aucune force extérieure, est animé d'un mouvement rectiligne uniforme. On appellera "référentiels galiléens" les systèmes de référence dans lesquels ce principe est vérifié. ces systèmes sont en mouvement de translation rectiligne uniforme les uns par rapport aux autres. Pour passer d'un référentiel galiléen R à un référentiel galiléen R' animé d'une vitesse v parallèle à l'axe des abscisses, le changement de variable est de la forme :
Dans cette transformation dite "galiléenne", les lois de la mécanique et de la physique sont supposées être invariantes. Les vitesses s'additionnent. Afin de respecter le principe d'inertie, Newton sera amené à introduire un temps absolu et un espace absolu universel.
Ce système simple va vivre pendant plus d'un siècle et la mécanique céleste va décrire merveilleusement la dynamique du système solaire jusqu'à ce que deux grains de sable se glissent dans la machine. L'un sera l'excès de l'avance du périhélie de Mercure. Le résidu inexpliqué découvert par Le Verrier en 1859 et confirmé par Newcomb en 1895 est le premier défi sérieux à la théorie de newton. La mécanique classique sera impuissante devant ce problème. L'autre est d'un tout autre genre: il viendra de la découverte de l'électromagnétisme où l'action à distance fait place à une physique de champ, une action de contact. En 1873, J. Maxwell (1831-1879), physicien écossais, publie les équations générales des champs électromagnétiques, dites "équations de Maxwell". On constate alors que ces équations ne sont pas invariantes. Effectivement, la composition des vitesses ne fonctionnent pas avec la vitesse de la lumière qui ne dépend pas de la vitesse de la source (cela se remarquerait lors de l'observation des étoiles doubles) et ne peut être composée avec une autre vitesse. Serait-ce dû à l'existence d'un "éther" dans lequel la lumière se déplace par vibration ? On chercha alors à déceler un mouvement par rapport à l'éther. En particulier, on devait pouvoir mesurer la vitesse d'un mobile en mesurant les variations de la vitesse de la lumière dûes au vent d'éther. Ce fut alors la célèbre expérience effectuée par Michelson en 1881 consistant à mesurer la différence de vitesse de la lumière dans deux directions perpendiculaires. Cette expérience fut faite en divers lieux, à 6 mois d'intervalle (la vitesse de la Terre change de sens) pendant des dizaines d'années et on ne trouva pas de changement significatif dans la vitesse de la lumière (les expériences récentes faites avec des moyens modernes ont vérifié l'isotropie de la propagation de la lumière à 10-13 près. Le mouvement de la Terre était indétectable avec cette méthode. Les équations de Maxwell étaient-elles fausses ? En fait non, c'était la transformation galiléenne qui n'était pas correcte. H. Poincaré montra que les équations de Maxwell étaient invariantes si on leur appliquait une transformation particulière, dite "transformation de Lorentz".
Einstein va réussir à étendre le principe de relativité de la mécanique à la physique à partir de deux postulats, le premier étant dû à Poincaré et Lorentz :
Ces deux postulats étaient bien sûr incompatibles avec la transformation galiléenne qui postule qu'il existe un temps absolu et que la mesure d'une longueur est indépendante du mouvement du système de référence. Einstein va montrer les erreurs de ces postulats. En particulier, il montre la relativité de la notion de simultanéité qui n'a de signification que dans un système galiléen déterminé, ce qui entraîne la relativité de la notion de longueur. Longueur et temps sont liés. La transformation galiléenne doit, comme prévu, être remplacée par la transformation de Lorentz :
pour deux systèmes de référence inertiels R et
R' ayant leurs axes parallèles et en déplacement relatif
avec la vitesse v selon l'axe x.
La loi de composition des vitesses n'est plus celle du système
galiléen.
Cette transformation va entraîner la contraction des longueurs
et la dilatation des durées pour les corps en mouvement. On remarquera
que pour des vitesses relatives petites devant c (i.e. v/c petit), la transformation
de Lorentz se réduit à la transformation de Galilée.
Explicitons ces notions de contraction des longueurs et dilatation
des durées: un objet de longueur l au repos dans R sera vu dans
R' avec la longueur L' = L racine(1-v2/c2) < L
(d'où contraction de longueur). Considérons maintenant deux
événements A et B se produisant au même point de R
séparés par un laps de temps T. Le laps de temps T' entre
ces deux événements mesurés dans R' ne sera plus T
mais T' = T/racine(1-v2/c2) > T (d'où dilatation des durées).
Les lois de la dynamique newtonnienne sont aussi à modifier : elles doivent être invariantes dans une transformation de Lorentz.
la loi fondamentale devient F = d/dt (m v) où m et v varient en fonction
du temps.
La quantité de mouvement p = mv devient :
Dans la mécanique newtonnienne, la notion de masse a deux sens : sa détection par son poids (masse gravifique) et sa détection par sa résistance au mouvement (masse inerte). Ces masses sont proportionnelles et on choisit les unités de façon à ce qu'elles soient identiques. En identifiant l'expression ci-dessus avec p = m(v) . v on en déduit que :
où m0 est la masse au repos.
La relativité d'Einstein introduit donc la notion de masse au repos et
induit une augmentation de la masse avec la vitesse.
Quant à l'énergie totale d'un corps en mouvement, elle devient :
soit en développant :
La théorie d'Einstein introduit un terme nouveau :
qui correspond à l' "énergie interne" en plus de l'énergie
cinétique et il y a ainsi équivalence entre masse et énergie.
Tous ces faits nouveaux ont été vérifiés par la
physique des particules qui permet d'obtenir de très grandes vitesses.
Aux basses vitesses, on retrouve les lois de la dynamique newtonnienne.
La relativité restreinte n'a cependant pas résolu tous les problèmes. Elle s'est montrée incapable d'incorporer la gravitation de manière satisfaisante et certaines expériences semblent toujours prouver qu'il existe un référentiel absolu. Par exemple, l'expérience du pendule de Foucault semble indiquer que l'on peut mesurer le mouvement de la Terre par rapport à un référentiel absolu. Où donc se trouve la contradiction ? Einstein va étendre pour cela la relativité restreinte à la gravitation. Pour cela Einstein va énoncer le principe d'équivalence. L'identité entre la masse gravifique et la masse inertielle devient un postulat de base de la théorie. Ainsi, il n'est pas possible, localement, de distinguer une force créée par une accélération d'une force créée par la gravitation. Cette identité a conduit Einstein à penser qu'un laboratoire en chute libre dans un champ gravitationnel constitute en quelque sorte l'extension naturelle du concept de système de référence inertiel de l'ancienne mécanique. On est ainsi amené à postuler que "tous les systèmes de référence en chute libre sont équivalents pour l'expression des lois physiques non gravitationnelles, quel que soit leur état de mouvement et leur localisation". Cet énoncé constitute ce qu'on appelle aujourd'hui le principe d'équivalence d'Einstein.
Il faut souligner à ce propos que ce principe n'édicte rien sur la description des phénomènes gravitationnels eux-mêmes. Ainsi, il ne postule pas que deux laboratoires en chute libre situés en des endroits différents vont trouver la même valeur pour la constante de la gravitation G (étant admis qu'ils sont munis d'horloges et de mètres de même fabrication). Autrement dit, le principe d'équivalence d'Einstein ne rejette pas a priori que la "vraie théorie relativiste de la gravitation" puisse prédire que G varie avec le temps et le lieu. Ce principe permet donc des généralisations de la relativité générale, généralisations dont les vérifications font l'objet de nombreuses recherches actuelles.
L'idée qu'en présence d'un champ gravitationnel, ce sont les référentiels en chute libre qui doivent remplacer les référentiels inertiels en amène très naturellement une autre: les référentiels en chute libre ne peuvent être que locaux, car un vrai champ de gravitation (celui de la Terre par exemple) n'est pas uniforme. En effet, la non uniformité entraîne qu'aucun mouvement global du système de référence ne peut supprimer partout le champ de la Terre. D'où l'idée que le principe d'équivalence d'Einstein, qui est purement local, n'interdit pas à la géométrie de l'espace-temps de changer d'un point à un autre. Au contraire, un tel changement de géométrie permet de résoudre le problème de la gravitation avec une extrême élégance conceptuelle. Le principe d'inertie galiléen nous dit qu'en l'absence de tout champ de force, un point matériel a un mouvement rectiligne uniforme dans tout référentiel galiléen. Or, une droite est une géodésique de l'espace euclidien. Il est dès lors naturel de considérer le mouvement d'une particule en chute libre dans un champ gravitationnel comme défini par une géodésique d'une métrique plus complexe qu'une métrique euclidienne. En fait, Einstein a introduit une généralisation dite "pseudo-riemanienne" de la métrique spatio-temporelle de la relativité restreinte.
Nous donnons ci-dessous une analogie qui permet de comprendre pourquoi une métrique non euclidienne peut rendre compte de façon simple d'une force de gravitation.
Plan euclidien P : deux corps A et B initialement doués de vitesse vA = vB et suivant des géodésiques de P (droites) vont rester à distance constante: il n'y a pas de gravitation dans cet univers: A et B ne "s'attirent" pas.
Sphère S : deux corps A et B initialement doués de vitesse
vA = vB sur l'équateur et suivant des géodésiques
de S (grands cercles) vont se rapprocher et se rejoindre au pôle
N: il y a de la gravitation dans cet univers: A et B "s'attirent".
On peut donc décrire la gravitation comme une manifestation
de la courbure d'une métrique.
La liste des tests expérimentaux auxquels on a soumis la relativité générale est très longue et nous citons ci-dessous les plus marquants :
Crédit : J.E. Arlot/IMCCE