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Comprendre > Approfondir > Astéroïdes et comètes I

PANORAMA

DES ASTEROÏDES


Introduction

La découverte des astéroïdes

Le premier janvier 1801, alors qu'il travaillait à la construction d'un catalogue d'étoiles, l'astronome italien Giuseppe Piazzi découvrit un objet qui se déplaçait sur le fond étoilé. Il pensa alors à une comète. Mais une fois l'orbite de ce nouvel objet déterminée presque circulaire et située entre Mars et Jupiter, il sembla évident que ce n´était pas une comète car celles-ci ont des orbites très eccentriques.

Piazzi fit alors le rapprochement avec la "planète manquante" prédite par la pseudo loi de Titius-Bode: en 1766, Johannes Titius avait remarqué que les orbites des planètes connues suivait la relation géométrique suivante, popularisée quelques années plus tard par Johann Elert Bode: distance (ua) = 0.4 + 0.3 x 2n, avec n=-∞, 0, 1, 2... pour les différentes planètes (Mercure, Vénus, la Terre, Mars... voir Table 1).

Table 1: Comparaison des demi grand-axes des planètes prédits par la pseudo-loi de Titus-Bode avec les valeurs observées.
Index Nom aT-B (ua) a (ua)
Mercure 0.4 0.39
0 Vénus 0.7 0.72
1 Terre 1.0 1.00
2 Mars 1.6 1.52
3 Ceres 2.8 2.77
4 Jupiter 5.2 5.20
5 Saturne 10.0 9.54
6 Uranus 19.6 19.2
7 Neptune 38.8 30.06

Cette loi numérologique, sans fondement physique, trouva néanmoins du succès après la découverte d'Uranus (la première depuis l'antiquité!) par l'astronome William Herschel en 1781 sur une orbite proche de celle correspondant à n=6 (voir Table 1). Or l'expression de Titius-Bode ci-dessus prédit également un corps (n=3) à une distance de 2.8 ua du Soleil. De nombreux astronomes furent alors convaincus qu'une planète inconnue devait exister à cet endroit. Piazzi conclut alors que le nouvel objet était une planète, qu'il baptisa Cerere Fernandinae, en honneur du dieux Sicilien de l'agriculture et du roi Ferdinand de Sicile. Le nom de Fernandinae fut rapidement abandonné, et la nouvelle planète connue sous le nom de Cérès.

Alors qu'il cherchait à observer Cérès afin de mieux connaître son orbite, l'astronome Heinrich Olbers découvrit en Mars 1802 un autre corps, sur une orbite proche de celle de Cérès, qu'il nomma Pallas. Cette seconde découverte suggéra l'idée que la grande et unique planète prédite par la loi de Titius-Bode avait pu être détruite et que plusieurs petites planètes pouvaient exister à sa place. La découverte dans les années qui suivirent de Juno (1804), puis Vesta (1809), puis de dizaines d'autres objets confirma cette idée. C'est le découvreur d'Uranus, William Herschel, qui proposa dès 1802 le terme d'astéroïde ("semblable à un astre") pour désigner ces objets.

Que sont les astéroïdes?

Les astéroïdes sont longtemps restés terre inconnue. Apparaissant comme de simple points se déplaçant sur le fond étoilé, les astéroïdes étaient appelé les "vermines du ciel" durant toute la première moitié du XXème siècle à cause des petites traînées qu'ils laissaient sur les plaques photographiques, considérées comme des nuisances.

Nous savons maintenant que les astéroïdes sont de petits corps rocheux n'excedant pas quelques centaines de kilomètres (Cérès, de loin le plus grand d'entre eux mesure 950 km de diamètre), les plus petits ne mesurant que quelques centimètres (pour les fragments plus petits, on parle généralement de "poussières").

Si les astronomes du début du XIXème siècle pensaient que les astéroïdes étaient les débris de la destruction d'une planète, nous savons maintenant qu'ils correspondent exactement à l'inverse: aux briques de construction des planètes. C'est pour cela que leur étude est si précieuse: ils témoignent des premiers instants de notre système solaire (cf I).

Les astéroïdes sont caractérisés par une grande diversité. On les trouve partout dans le système solaire (cf II), avec des tailles et des formes très disparates (cf III) et des compositions très variées (cf IV).

I. Pourquoi étudier les astéroïdes?

I.1. Témoins du système solaire primordial

Du fait de leur petite taille, les astéroïdes sont des corps géologiquement morts. Bien qu'ils aient subi des collisions depuis des milliards d'années, leur composition est restée telle qu'au moment de leur formation il y a 4.5 milliard d'années, au sein du disque de gas et de poussières où se sont également formées les planètes.

Pour celles-ci, l'énergie interne fournie par la désintègration des éléments radioactifs a permis aux roches de fondre, entrainant une différenciation des composants, les plus denses ayant "coulé" au fond pour former un noyau. Cette énergie sous forme de chaleur est également à l'origine de la tectonique des plaques et du volcanisme. Tous ces méchanismes ont masqué les composants originaux des planètes. Dans certains cas, l'érosion produite par l'atmosphère (Vénus) et la biosphère (Terre) ajoute une autre couche de complexité. Ainsi, en n'étudiant que les planètes, il est impossible de comprendre le milieu dans lequel elles se sont formées.

Contrairement aux planètes, la vaste majorité des astéroïdes sont des corps primitifs n'ayant subi que très peu d'évolution. Ces corps sont semblables aux briques à partir desquelles les planètes se sont formées par agglomération. Ainsi, l'étude de leur composition nous renseigne directement sur les composants originels des planètes.

De plus, la répartition des différentes compositions d'astéroïdes nous fournit également un aperçu de l'histoire du jeune système solaire. En effet, l'étude des exo-planètes (les planètes orbitant autour d'autres étoiles que le soleil) nous a appris que les planètes ne se situaient pas forcément sur l'orbite où elles s'étaient formées. Il semble commun que les planètes "migrent" au début de leur histoire, du a leur interaction avec le disque au sein duquel elles grandissent. La répartition des orbites, tailles, et compositions des astéroïdes porte encore la marque de ces migrations.

I.2. Corps parent des météorites: chance ou fatalité?

Parfois les astéroïdes tombent sur Terre, et les fragments ramassés sont appelés des météorites. Leur étude sert alors un double intérêt: la compréhension de la formation des planètes et la protection de la Terre.

L'analyse des météorites en laboratoire permet de connaître en détail leur composition, les minéraux qui les compose, les conditions dans lesquelles elles se sont formées, les échelles de temps mise en jeux, etc. Ce sont des échantillons directs d'astéroïdes. En reliant les météorites aux astéroïdes, nous pouvons mieux comprendre l'histoire du système solaire (cf II.1).

Néanmoins, ces chutes d'astéroïdes sur Terre présentent un risque si les objets impliqués sont trop grands. Si peu de cratères sont visibles sur Terre, c'est en raison de l'érosion (tectonique des plaques, eau...) qui en a effacé les traces. Les miriades de cratères qui couvrent la lune témoignent de ces impacts. C'est la chute d'un astéroïde il y a 65 millions d'années dans le golfe du Mexique, sur la péninscule du Yucatan, qui, créant un cratère de 180 km, est à l'origine de la disparition des dinosaures.

Plus proche de nous, une région de Sibérie de 2000 km2 a été dévastée en 1908 par l'explosion dans l'atmosphère d'un corps de quelques dizaines de mètres. En 2013, à Chelyabinsk en Russie, l'explosion d'un astéroïde d'une vingtaine de mètres de diamètre au dessus de la ville a produit de nombreux dommage humains et matériels: environ 1500 personnes ont été blessées, principalement par des éclats de verre (Figure 1).

Figure 1: Vidéo de la chute du bolide de Chelyabinsk le 15 Février 2013.

I.3. Sources de ressources?

L'utilisation minière des astéroïdes est de plus en plus considérée comme plausible, et certaines compagnies privées envisagent sérieusement l'envoi de sondes robotisées pour explorer puis exploiter des astéroïdes géocroiseurs (cf II.1). La plupart des astéroïdes ne sont proportionnellement pas plus riches en métaux et autres éléments rares (or, nickel, lithium) que ne l'est la croûte terrestre dans laquelle nous minons. Au vu des coûts de construction et lancement de sondes spatiales, l'entreprise peut paraître difficilement rentable.

Certains astéroïdes sont toutefois enrichis en éléments lourds. Lors de la formation planétaire décrite ci-dessus (I.1), les corps se sont agglomérés au sein du disque proto-planétaires, formant de nombreux embryons de planètes d'une taille comparable à Cérès autour de 1000 km de diamètre. Comme en témoignes les météorites métallique et métalo-pierreuses, nombre de ces corps se sont différenciés: les matériaux les plus denses comme les métaux ont formé un noyau au centre et les matériaux moins denses comme les roches ont surnagé en un manteau et une croûte. Ces proto-planètes ont ensuite été détruites et leurs restes peuplent la ceinture principale d'astéroïdes. Ainsi, les fragments correspondant à ces noyaux pourraient contenir des milliards de tonnes de métaux (fer, nickel, cobalt) par kilomètre cube! Ces quantités sont suffisantes pour satisfaire la consommation mondiale pendant des centaines d'années.

A plus (très?) long terme, les astéroïdes peuvent constituer d'avantageuses bases spatiales pour la colonisation du système solaire. En effet, leurs faibles tailles impliquent de faibles gravités et décoller d'un astéroïde nécessite donc bien moins d'énergie que décoller d'une planète. Ainsi, leurs ressources minières peuvent pourvoir les colons en matériaux de construction, ainsi que leurs besoins en eau, carbone et azote, à moindre coût.

II. Où se trouvent les astéroïdes?

II.1. Diverses populations

Le premier astéroïde découvert, Cérès, a une orbite située entre Mars et Jupiter, à 2.8 ua. C'est dans cette région, maintenant appelée la ceinture principale, que tous les autres astéroïdes furent découverts jusqu'à (433) Eros en 1898, dont l'orbite croise celle de la Terre. Les objets sur de telles orbites sont appelé les astéroïdes géocroiseurs (Figure 2).

Les petits corps du système solaire.
Figure 2: Nomenclature des petits corps du système solaire.
Crédits: SkyBoT VO tool, B. Carry & J. Berthier (IMCCE).

La ceinture principale est, comme son nom l'indique, le réservoir principal d'astéroïdes, avec plus de 655 000 objets connus (Janvier 2015) et probablement plus du double à découvrir. C'est une région stable, où les objets ont été préservés depuis 4.5 milliards d'années. On pense maintenant que les planètes ont migré au cours de leur histoire, et la ceinture principale regroupe les petits corps provenant de tout le système solaire primordial.

Les astéroïdes géocroiseurs (ou NEAs de l'acronyme anglais near-Earth asteroids) ont eux une durée de vie très courte, de seulement quelques millions d'années, car ils sont soit éjectés du système solaire, soit ils tombent sur une planète ou le soleil. Ce sont ces objets qui représentent un danger pour la Terre (cf I.2). Cette population est continuellement réapprovisionnée en objets, envoyés depuis la ceinture principale par divers méchanismes (cf II.2). Cette population se décline en sous-groupes orbitaux, qui portent généralement le nom du premier astéroïde découvert dans cette région: les Atens, Apollos, Amors, Atiras, et Mars-Crossers (Table 2).

Groupe Demi-grand axe a (ua) Périhélie q (ua) Aphélie Q (ua)
Atens <1.0 >0.983
Apollos >1.0 <1.017
Amors 1.017 - 1.3
Atiras <1.0
Mars-Crosser <1.666
Table 2: Définitions des différentes classes orbitales d'astéroïdes géocroiseurs.

Sur l'orbite de Jupiter (et aussi marginallement sur les orbites des autres planètes, de la Terre à Neptune) se trouvent les Troyens. Ces objets précèdent ou suivent Jupiter sur son orbite, avec un angle de 60°, aux points dynamiquement stables de Lagrange (définis dans le cadre du problème à 3 corps).

Les Centaures sont les corps dont les orbites croisent celles des quatre planètes géantes et ont eux aussi des durées de vie très limitées. Ces corps sont l'équivalent dans le système solaire externe des géocroiseurs dans le système solaire interne. Dans leur cas, leur région source est appelée la ceinture de Edgeworth-Kuiper, située au-delà de l'orbite de Neptune. Les Centaures sont à l'origine des comètes à courte période (moins de 200 ans).

Cette ceinture Edgeworth-Kuiper est le second réservoir de petits corps, et s'étend de 30 à 100 ua environ. Les objets qui la composent ne sont pas appelé astéroïdes mais plutôt objets transneptuniens ou objets de Kuiper. La présence d'un grand nombre de petits corps dans cette région du système solaire avait été prédite par Edgeworth en 1949 et par Kuiper en 1951, alors que seul Pluton y était connu (alors considéré comme une planète, tout comme Cérès qui l'avait été à l'époque de sa découverte). La découverte du premier objet de Kuiper fut réalisée en 1992, suivie par de nombreuse découverte qui motivèrent le déclassement de Pluton de son status de planète par l'union astronomique internationale en 2006. A l'instar des astéroïdes de la ceinture principale, les objets de Kuiper sont les témoins des premiers instants du système solaire.

Finalement, aux confins du système solaire se situe le nuage d'Oort, entre 30 000 et 100 000 ua. Aucun objet n'a encore été observé à de telles distances du soleil, mais un réservoir d'objet doit logiquement exister pour expliquer les comètes à longue période.

II.2. Orbites et dynamique

Sur la figure 3 de la distribution des astéroïdes en fonction du demi-grand axe de leur orbite, certaines régions vides d'astéroïdes sont clairement visibles. Ces gaps, ou lacunes, furent découverts par D. Kirkwoord en 1867, et sont dues à l'influence gravitationnelle de Jupiter. Ces lacunes ne sont pas des régions de l'espace vides d'astéroïdes comme le montre la figure 4 où tout l'espace semble occupé. Ces lacunes correspondent à des périodes orbitales précises. Le phénomène à l'origine de ces lacunes est appelé résonance.

Distribution orbitale des astéroïdes de la ceinture principale.
Figure 3: Distribution orbitale des astéroïdes de la ceinture principale.
Crédits: B. Carry (IMCCE).
Distribution spatiale des astéroïdes de la ceinture principale.
Figure 4: Distribution spatiale des astéroïdes de la ceinture principale.
Crédits: B. Carry (IMCCE), using SkyBoT 3-D VO tool.

Une résonance apparaît lorsque la période orbitale d'un astéroïde est commensurable à celle de Jupiter. Ceci se produit quand la période de révolution d'un astéroïde est un multiple p/(p+q) de la période de révolution de Jupiter, où p et q sont des entiers. Ces résonances, dites de moyen mouvement, se notent (p+q):p. Ainsi, la résonance 5:2 concerne les astéroïdes qui effectuent cinq révolutions pour deux effectuées par Jupiter. Dans une résonance, la même configuration Soleil-astéroïde-Jupiter se reproduit à chaque p révolution de Jupiter (2 dans le cas de la résonance 5:2, 1 pour la 3:1, etc.). L'astéroïde subit alors l'attraction de Jupiter dans une direction privilégiée, ce qui tend à augmenter l'eccentricité de son orbite.

Plus l'orbite d'un astéroïde est elliptique, plus ses chances de percuter un autre astéroïde ou une planète augmentent. Les astéroïdes dont la période est commensurable avec celle de Jupiter ont donc une faible espérance de vie (quelques millions d'années). C'est pour cela que les lacunes de Kirkwood sont visibles au sein de la ceinture principale (mais pas dans la répartition spatiale:, il n'y a pas de "trous" sans astéroïdes dans la ceinture).

Loin d'être une simple curiosité dynamique, ce mécanisme est la principale source des astéroïdes géocroiseurs (cf II.1) et des météorites. Ce mécanime est si efficace, qu'il ne reste aucun astéroïde primordial dans ces régions. Les corps parents des géocroiseurs et des météorites sont "poussés" vers ces régions par collisions ou par l'effet Yarkovsky (qui diminue ou augmente lentement le demi-grand axe de l'orbite du à la ré-émission différée par l'astéroïde de la chaleur fournie par le Soleil, cf III.1).

A continuation, la figure 5 montre les histogrammes des distributions des excentricités et des inclinaisons des astéroïdes. Ceux-ci ont globalement ni une inclinaison nulle, ni une orbite circulaire. Si c'était le cas, les collisions entre astéroïdes seraient relativement douces, mais c'est exactement le contraire (dans la ceinture principale, les collisions entre astéroïdes ont lieu à une vitesse moyenne de cinq kilomètres par seconde). C'est ce fait qui empêche les astéroïdes de former une planète.

Distribution en inclination des asteroides de la ceinture principale. Distribution en excentricite des asteroides de la ceinture principale.
Figure 5: Distribution de l'inclinaison et de l'excentricité des orbites des astéroïdes de la ceinture principale.
Crédits: B. Carry (IMCCE).

 

II.3. Familles d'astéroïdes

L'étude des éléments orbitaux des astéroïdes a révélé une autre curiosité dynamique: certains astéroïdes ont des orbites très proches. Les premières études de ces regroupements d'astéroïdes en familles ont été initiées au début du XX siècle par Hirayama (1918). Ces familles sont le résultat des collisions au sein de la ceinture principale.

Les collisions de petits astéroïdes sur de plus gros forment de simples cratères, mais la rencontre de deux astéroïdes de tailles similaires peut aboutir à la destruction entière d'un ou des deux corps. Tous les fragments éjectés auront autour du soleil des orbites semblables: ils étaient tous au même point au moment de la collision. Nous connaissons à présent presque 80 familles, depuis les très évidentes et très anciennes familles (plusieurs milliards d'années) comme Koronis ou Eos (Figure 6) jusqu'aux petites et jeunes familles (quelques dizaines de milliers d'années) de Karin ou Lucas-Cavin.

Familles asteroides.
Figure 6: Exemples de familles d'astéroïdes au sein de la ceinture principale. Ces graphiques présentent l'inclinaison des orbites des astéroïdes en fonction de leur excentricité. Les couleurs des points indiquent les couleurs de la surface (c'est à dire leur taxonomie, cf IV.2). Les trois colonnes représentent trois parties de la ceinture: interne, moyenne, et externe. La première ligne montre la population totale, et la seconde uniquement les astéroïdes appartenant à des familles.
Crédits: Adapté de Parker et al. (2008).

Ces familles jouent un rôle crucial dans l'étude des propriétés de surface des astéroïdes. En effet, tous les membres d'une famille ont le même âge puisqu'ils sont issus de la collision catastrophique qui détruit leur corp parent. Les familles nous permettent alors de chronomètrer le "vieillissement" des surfaces. C'est en comparant les surfaces d'astéroïdes de différentes familles de même composition mais d'âges différents que l'altération due au vent solaire a été mise en évidence (cf IV.2).

III. Comment sont les astéroïdes?

III.1. Méthodes d'investigation

Courbes de lumière: Le moyen d'investigation principal de la période de rotation et orientation des astéroïdes est la courbe de lumière, c'est à dire la variation de la brillance d'un astéroïde en fonction du temps. Les astéroïdes n'émettant pas de lumière propre (dans les longueurs d'onde du visible) et ne faisant que réfléchir la lumière du soleil, la quantité de lumière que nous mesurons (cette mesure est dite mesure photométrique) dépend de la surface apparente de l'astéroïde. Au cours de sa rotation autour de son axe, la surface que nous voyons projetée sur le plan du ciel varie, et dessine une courbe sinusoïdale (Figure 7). La période de rotation se détermine directement de cette courbe et peut donc se réaliser en une simple nuit d'observation. La période de rotation est connue pour environ 15000 astéroïdes à ce jour.

La détermination de l'orientation de l'axe requiert plus d'observations. À une géometrie donnée (dictée par la configuration Soleil-astéroïde-Terre), correspond une courbe de lumière. On peut tout de suite voir que si la Terre est dans l'alignement de l'axe de rotation de l'astéroïde, la surface apparente ne changera pas au cours de la rotation et la courbe de lumière sera plate. Au contraire, si la Terre se situe dans le plan équatorial de l'astéroïde, la variation de la courbe de lumière sera maximale. Toute géométrie intermédiaire produit des courbes de lumière de moindre amplitude. Ainsi, engranger des courbes de lumière d'un même astéroïde à différentes dates, couvrant le plus de géométries différentes, est nécessaire pour déterminer la direction de son axe de rotation, ce qui explique que cette information soit disponible pour seulement quelques centaines d'objets.

La forme de la courbe de lumière étant dictée par la surface apparente de l'astéroïde au cours du temps, celle-ci peut être utilisée pour reconstruire la forme 3-D du corps (Kaasalainen et al. 2002, Durech et al. 2015). Une seule courbe n'est évidement pas suffisante pour remonter à la forme globale de l'astéroïde. Il faut pour cela beaucoup de courbes, prises sous de nombreuses géométries. C'est un problème complexe, qui peut donner lieu à des solutions ambigües, mais qui est depuis le début des années 2000 la source principale de détermination de la forme des astéroïdes. On compte aujourd'hui 1000 modèles 3-D d'astéroïdes (voir la base de données DAMIT, Durech et al. 2010).

Principe des courbes de lumière.
Figure 7: Principe de détermination de la période de rotation des astéroïdes par courbe de lumière.
Crédits: B. Carry (IMCCE).

Imagerie directe: Comme leur désignation l'indique, les petits corps du système solaire sont... petits. Ainsi, même le plus grands d'entre eux, (1) Cérès, à un diamètre angulaire (c'est à dire la taille sous lequel nous le voyons) inférieur à la seconde de degré (1°/3600). Cette taille correspond à celle d'une pièce de 2 Euros située à 4 km. Il est donc très difficile techniquement de les observer directement. Jusqu'aux années 1990, avec le premier survol d'un astéroïde par une sonde spatiale (Ida par Galileo en chemin vers Jupiter), les astéroïdes étaient restés des sources ponctuelles.

La principale difficulté est liée à la turbulence atmosphérique, qui "floute" les images en degradant leur résolution. La mesure de cette dégradation est appelée seeing. Même dans des sites privilégiés comme le Mauna Kea à Hawaii ou le désert d'Atacama au Chili, où sont installé les plus grands télescopes au monde, le seeing reste généralement au-dessus de la seconde de degré. Il est donc impossible d'observer des détails plus petits. Heureusement, une technique de correction en temps réel de cette dégradation fut mise au point à la fin des années 1980, appelée optique adaptative. C'est grâce à elle que des images de (1) Cérès et (2) Pallas purent être obtenues en 1991 avec le télescope de 3.6m de l'ESO (Saint-Pé et al. 1993), suivies de nombreuses autres une fois les télescopes de la classe de 10 m mis en service: ESO VLT, Keck, Gemini. Le télescope spatial Hubble, non affecté par le seeing car situé en orbite terrestre, a également été utilisé avec succès pour observer les deux plus grands astéroïdes, (1) Cérès et (4) Vesta (Thomas et al. 1997).

L'intérêt principale de l'imagerie directe est sa répétabilité, et l'aspect direct des informations qu'elle nous fourni. Si les courbes de lumière permettent de remonter à la forme d'un objet, ce n'est qu'en accumulant des données sur des années. Quelques images prises au cours d'une seule nuit peuvent permettre d'atteindre le même résultat, chaque image fournissant la taille et la forme projetée sur le plan du ciel. De telles images ont été obtenues sur plusieurs dizaines d'astéroïdes à ce jour.

Example d'imagerie directe.
Figure 8: Example d'imagerie directe d'astéroïdes.
Crédits: NASA/ESA/JAXA.

Occultations stellaires: Une autre méthode de mesure directe de la taille et de la forme apparente des astéroïdes consiste à mesurer le temps de disparition d'une étoile lorsqu'un astéroïde passe devant. La connaissance de la vitesse relative de l'astéroïde par rapport à la Terre, directement dérivée de la connaissance de son orbite, permet de convertir ce temps de disparition en une longueur sur le disque apparent de l'astéroïde, appelée une corde. Si plusieurs observateurs se placent sur le chemin de l'occultation à la surface de la Terre, plusieurs cordes sont mesurées et permettent de reconstruire la forme apparente de l'astéroïde au moment de l'occultation stellaire.

Cette technique ne reposant que sur une mesure temporelle, elle peut être très précise et même dépasser l'imagerie directe en précision. De plus, comme la réalisation de l'observation dépend plus des caractéristiques de l'étoile occultée (sa brillance apparente) que de l'astéroïde occulteur, de nombreuses cibles trop petites angulairement (car petites physiquement ou lointaines) pour l'imagerie directe peuvent être étudiées. Néanmoins, comme un astéroïde donné n'occulte une étoile brillante que rarement, ces observations doivent être complétées par d'autres observations. En effet, si environ 2000 observations d'occultations stellaires ont pu être enregistrées (principalement par des astronomes amateurs), seule une poignée d'astéroïde a été observé plusieurs fois, avec plusieurs cordes. Les occultations stellaires sont ainsi un très bon complément aux courbes de lumière et peuvent être utilisées conjointement pour reconstruire la forme 3-D (Carry et al. 2010, Kaasalainen 2011).

Principe des occultations stellaires.
Figure 9: Principe de la mesure de la taille et forme apparente des astéroïdes par occultation stellaire. Haut: Vue sur le plan du ciel des cordes négative (gris), et positives sur l'astéroïde (bleu) et son satellite (vert). Bas: Courbe de lumière montrant l'occultation par le satellite et l'astéroïde: chaque chute de flux de l'étoile est due a un objet, et sa durée indique la taille de l'objet.
Crédits: B. Carry (IMCCE).

Interférometrie: La résolution angulaire des images est limitée par la turbulence atmosphérique comme indiqué ci-dessus. Ces effets peuvent néanmoins être corrigés si le télescope ou la caméra sont équipés d'une optique adaptative. Toutefois, même dans ce cas, la résolution angulaire sera limitée par la diffraction, et donc inversement proportionnelle à la taille du mirroir primaire du télescope selon la formule R = l/D ou l est la longueur d'onde en mètre, D le diamètre du mirroir en mètres, et R la résolution angulaire en radians. À titre d'example, le télescope spatial Hubble a la même résolution que les télescopes du VLT, environ 0.05 seconde de degré.

Afin d'améliorer la résolution, il convient donc d'augmenter la taille de l'ouverture D. Comme ceci devient rapidement coûteux et techniquement hardu, une solution consiste à utiliser deux télescopes séparés par un ligne de base B et à combiner la lumière qu'ils recoivent. Des franges d'interférence sont alors observées (comme dans l'expérience des trous d'Young). Le détail le plus petit observable est alors donné par l/B. On voit tout de suite le gain possible: les télescopes du VLT étant séparés par plusieurs dizaines de mètre, leur utilisation jointe fourni une résolution angulaire dix fois supérieure à leur utilisation séparée.

Cette résolution n'est toutefois atteinte que le long de la ligne reliant les deux télescopes. Aucune information n'est disponible dans une autre direction: un interféromètre ne prend pas d'images. De plus, cette technique est limitée aux objets très brillants: la combinaison des faisceaux lumineux provenant des deux télescopes est elle-aussi affectée par la turbulence atmosphérique, et réaliser ces observations requiert des temps d'exposition très court, et donc des objets lumineux. À ce jour, seuls quelques astéroïdes ont pu être étudiés ainsi (Delbo et al. 2009, Carry et al. 2015). La réalisation pratique étant moins hardue aux grandes longueurs d'onde, cette technique est très prometteuse pour des observatoires comme ALMA, opérant dans le sub-millimétrique et le millimétrique.

Principe de l'interférométrie.
Figure 10: Principe de la mesure de la taille d'astéroïde par interférométrie. Au lieu d'être envoyée sur des foyers proches du télescope, comme les foyers Cassegrain ou Nasmyth, la lumière est acheminée via le foyer Coudé jusqu'à un laboratoire d'interférométrie où elle est combinée. La figure d'interférence est composée de franges, dont la séparation, le contraste sont principalement reliés à la taille de l'objet dans le ciel.
Crédits: B. Carry (IMCCE).

Échos radar: Traditionnellement, et logiquement, la mesure de la position des astéroïdes pour en déterminer l'orbite se réalise sur des clichés de champs d'étoiles. La position est donc une position sur le plan du ciel, sans information sur la distance. En enregistrant le temps entre l'envoi d'un signal radar et sa réception avec une antenne permet de connaître la distance et la vitesse de l'astéroïde par effet Doppler-Fizeau.

L'analyse fine du signal reçu, en le décomposant en délai de réception et décalage Doppler, fourni des informations sur la rotation, la taille, et la forme de l'astéroïde. Cette information est très indirecte, mais peut atteindre une précision de quelques dizaines de mètre seulement. Une telle résolution en imagerie directe nécessiterait d'être très proche de l'objet, comme dans le cas d'un survol. Malheureusement, la puissance d'un écho radar diminuant avec la distance de la cible à la puissance 4, seuls les objets passant près de la Terre peuvent être étudiés ainsi. Ceci limite cette technique aux objets géocroiseurs, ceux passant typiquement à moins de 0.01 ua de la Terre.

Principe des échos radar.          Principe des échos radar.
Figure 11: Principe de la mesure de la taille et forme d'astéroïde par échos radar. Le délai entre l'émission et la réception du signal radar indique la distance de chaque partie de l'astéroïde. Le décalage en longueur d'onde de chaque signal (par effet Doppler) indique la vitesse de chaque partie de l'astéroïde.
Crédits: E. Lakdawalla (Planetary Society).

Radiométrie dans l'infrarouge thermique: Si la majeur partie du rayonnement qui nous parvient des astéroïdes dans le visible est du à la réflexion de la lumière solaire, ce n'est pas le cas dans l'infrarouge. En effet, le rayonnement de corps noir pour ces corps dont la surface a une température de 200-300 K pique autour de 10 microns. Le flux mesuré dans ces longueurs d'onde fourni, à partir de la connaissance de la température de surface, le diamètre apparent de la cible.

Cette technique est historiquement la source du plus grand nombre de détermination de diamètre d'astéroïde. Le premier catalogue dans les années 1980 de 2000 astéroïdes fut basé sur les mesures du télescope spatial IRAS. La mission récente WISE de la NASA a apporté une grande quantité de mesures de haute précision, et ces données ont permis la détermination en 2011 du diamètre de plus de 150,000 objets, depuis les géocroiseurs au troyens de Jupiter (ex. Masiero et al. 2011).

La limitation de cette technique provient de l'estimation de la température de la surface qui est dépendante d'un modèle thermique. De nombreux modèles co-existent, depuis des modèles simplistes où les astéroïdes sont représentés par des sphères sans rotation (par ex. le Standard Thermal Model, Lebofski et al. 1989), à des modèles très complexes où la forme 3-D, les propriétés de rotations, l'aspect granuleux de la surface, etc. sont pris en compte (appelés modèles thermophysiques). Suivant le modèle utilisé, les résultats peuvent donc malheureusement être biaisé, jusqu'à une hauteur de 10 à 20% dans les cas patologiques, limitant la portée pour un objet donné. Les résultats sont toutefois valides d'un point de vue statistique.

Principe de la radiométrie dans l'infrarouge thermique.
Figure 12: Principe de la radiométrie dans l'infrarouge thermique: contrairement aux longueurs d'onde visibles à l'oeil nu, la quantité de lumière émise par un astéroïde dans l'infrarouge ne dépend que de sa température (que l'on calcule) et de sa taille (que l'on souhaite mesurer).
Crédits: WISE/NASA.

 

III.2. Période de rotation et orientation

La distribution des périodes de rotation et l'orientation des axes des astéroïdes n'est ni uniforme, ni isotrope. Ces deux paramètres sont porteurs de nombreuses informations, de la structure interne des astéroïdes aux interactions gaz-blocs au sein de la nébuleuse proto-planétaire, en passant par les forces non-gravitationnelles.

Orientation des astéroïdes: Au sein des astéroïdes de plus de 60 km de diamètre, on observe un excès d'astéroïdes progrades (qui tournent dans le même sens que leur révolution autour du Soleil). Cet excès est lié à l'interaction entre les planètesimaux avec le disque de gaz et de poussières dans lequel ils se sont accrétés (Johansen & Lacerda, 2010).

Pour les astéroïdes dont le diamètre est inférieur à environ 20 km, on observe une concentration de l'orientation de leur axe de rotation dans la direction perpendiculaire à leur plan orbital. Ceci est du à l'effet non-gravitationnel YORP (Yarkovsky-O'Keefe-Radzievskii-Paddack, voir Figure 13). Cette effet est dans le principe très semblable à l'effet Yarkovsky (c.f., II.2): la ré-émission différée par l'astéroïde de la chaleur fournie par le Soleil va orienter préférentiellement les astéroïdes en "toupies", soit en rotation prograde, soit rétrograde, mais toujours avec une obliquité proche de 0° (Hanus et al., 2011, 2013).

Période de rotation: La vaste majorité des astéroïdes tournent sur eux-même en 4 à 10 h. Il existe néanmoins quelques rotateurs très lents (période de rotation de plusieurs jours), ainsi que des rotateurs très rapides (périodes de quelques minutes!). L'effet YORP décrit ci-dessus est certainement à l'origine des ces périodes extrèmes. Autre curiosité, il existe une "barrière" vers les rotations rapides, que seuls les astéroïdes monolitiques peuvent traverser. Cette barrière autour de 2 h correspond à une période de rotation tellement courte que les particules à la surface de l'astéroïde sont éjectées: la vitesse à la surface correspond à la vitesse de libération. Ainsi, seuls les astéroïdes très petits et monolitiques possèdant donc une structure interne très robuste ne permettant pas l'éjection de matière sont observés avec des périodes de rotation plus courtes (Scheeres et al. 2015).

Effet Yarkovsky.
Figure 13: Schéma explicatif de l'effet Yarkovsky.
Crédits: B. Carry (IMCCE).

III.3. Taille

Le plus gros astéroïde connu, (1) Cérès, a un diamètre de 935 km. En prenant le terme astéroïde au sens large pour y inclure tous les petits corps du système solaire (leurs différentes nomenclatures n'est en réalité qu'historique, ce sont tous des résidus de la formation planétaire), les plus gros, (136108) Eris et (134340) Pluton, ont des diamètres de 2400 km environ. À l'autre extrémité, les plus petits corps qui seraient considérés comme astéroïdes auraient des diamètres de quelques centimètres, voire dizaines de centimètre (on parle de poussière pour des corps plus petits). Nous n'avons jamais observé de tels objets directement. La seule trace de leur existance sont les étoiles filantes.

La distribution en taille des astéroïdes nous renseigne sur les processus collisionels qui régissent leur évolution. Ces distributions en taille sont très proche de lois de puissance. Dans la ceinture principale, cette loi correspond à la loi de puissance théorique d'une population en cascade collisionnelle (Dohnanyi 1969). Dit d'une autre manière, le principal processus qui sculpte la ceinture principale sont les collisions. Au contraire, les lois de puissances des troyens de Jupiter et des satellites irréguliers des planètes géantes sont très différentes, et révélatrices de leur histoire différentes: capture des satellites et des troyens lors des migrations planétaires (Morbidelli et al. 2005).

III.4. Forme 3-D

Loin d'être des objets sphériques, les astéroïdes présentent une large gamme de formes. Si les plus grands d'entre eux, comme (1) Cérès et (4) Vesta, ont pu atteindre une forme relaxée, et proche d'une sphère applatie (comme la Terre), la forme des astéroïde est en général dictée par les milliards d'années de collisions. De larges cratères d'impact ont été vu à la surface de tous les astéroïdes visités par des sondes spatiales, parfois d'une taille comparable à l'astéroïde lui-même!

La forme globale et la répartition des structures à la surface est ainsi révélatrice du passé de chaque astéroïde. Par exemple, deux bassins d'impact ont été découverts au pôle sud de (4) Vesta, d'abord avec le télescope spatial Hubble (Thomas et al. 1997), puis par la sonde spatial Dawn de la NASA (Russell et al. 2012). L'impact qui a créé le plus récent de ces cratères est à l'origine de la famille d'astéroïde liée à Vesta: les Vestoïdes.

Pour les astéroïdes les plus petits, formés par collisions, la forme est très irrégulière. Ces objets sont fort probablement des réaccumulation, sous l'effet de l'autogravitation, d'un grand nombre de fragments. On appelle ces objets des "tas de gravats" ou en anglais rubble pile, comme le géocroiseurs (25143) Itokawa, visité par la sonde Japonaise Hayabusa.

III.5. Masse

La masse est sans conteste la grandeur la plus difficile à mesurer pour un astéroïde. En effet, ces corps sont si petits que l'influence gravitationnelle qu'ils excercent sur les autres corps du système solaire est minuscule comparée à celles des planètes. Les plus gros astéroïdes perturbent néanmoins l'orbite des satellites de Mars, et de petits astéroïdes peuvent subir un changement d'orbite lors de rencontres proches avec des astéroïdes plus massifs.

Afin de mesurer la masse d'un astéroïde, il convient d'étudier son influence gravitationnelle sur un autre corps. Les rencontres proches entre astéroïdes sont fréquentes, et ont permis de mesurer la masse d'environ 300 astéroïdes (par ex. Fienga et al. 2011). La précision de ce type de mesure reste limitée à ce jour en raison de la complexité du système dynamique à prendre en compte et de la précision des mesures de positions astrométrique des astéroïdes.

Une façon bien plus précise de mesurer la masse est fournie par l'étude de l'orbite d'un satellite, naturel ou artificiel (Figure 14). Ainsi, lors de survol ou de mise en orbite de sondes spatiales autour d'astéroïdes, leur masse a pu être mesurée avec une très grande précision. Des satellites naturels étant découverts presque mensuellement autour d'astéroïdes, leur masse est potentiellement mesurable. Dans les faits, une petite fraction de ces systèmes multiples a été étudiée en détail, car l'observation de ces satellites est hardue, et nécessite soit l'usage de grands télescopes au sol, de radio-télescopes, ou d'un suivi photométrique sur plusieurs années (cf III.1)

Principe de la mesure de la masse d'un asteroide par
           l'etude de l'orbite de son satellite.
Figure 14: Principe de la mesure de la masse d'un astéroïde par l'étude de l'orbite de son satellite. A. Image d'un astéroïde obtenue au VLT. B. La meme image, après traitement, révelant la présence d'un satellite (en haut à droite). C. La position du satellite prise à plusieurs moments (les marqueurs bleus et rouges) permet de déterminer l'orbite (ellipse grise) et donc la masse de l'astéroïde.
Crédits: B. Carry (IMCCE).

 

III.6. Densité et météorites

Pour les corps dont la masse a été mesurée, il est possible de dériver leur masse volumique, ou densité. La densité indique la quantité de matière, la masse, pour un volume donné. C'est avec cette quantité que l'on joue dans la question piège "Qu'est-ce qui est plus lourd: un kg de plomb ou un kg de plumes?". Ici, le plomb et les plumes ont évidemment le même poids mais, la densité du plomb étant bien supérieure à celle d'une plume (11300 contre 20 kg.m-3), le kg de plumes occupera un volume bien plus important. Pour les astéroïdes, connaître leur densité nous permet de mieux cerner leurs différentes compositions.

Pour les corps dont la composition de surface est connue (cf IV ci-dessous), la comparaison de la densité de l'astéroïde avec celle de ces composés permet de tracer à grands traits la structure interne de l'astéroïde (Figure 15)

  • Si l'astéroïde est plus dense que ses matériaux de surface, cela signifie qu'il possède des matériaux plus denses sous la surface, ce qui laisse penser que l'astéroïde est différencié, comme c'est le cas pour (4) Vesta par exemple.
  • Si l'astéroïde est au contraire moins dense que ses matériaux de surface, cela signifie qu'il possède des matériaux moins denses sous la surface, comme des glaces, ou même des grands vides. Certains astéroïdes sont en effet si peu denses qu'il est difficile d'expliquer leur densité sans invoquer des vides ou fractures en leur sein.
  • Si l'astéroïde à la même densité que ses matériaux de surface, il est a priori homogène.
Comparaison des densités de météorites.          Structure interne d'un astéroïde.
Figure 15: Comparaison des densités de météorites et structure interne d'un astéroïde
Crédits: B. Carry (IMCCE).

IV. De quoi sont fait les astéroïdes?

La question de la composition des astéroïdes est au coeur de la recherche de nos origines. Les astéroïdes étant les résidus des blocs qui formèrent les planètes il y a 4.5 milliards d'années, leur composition nous renseigne sur les conditions qui règnaient dans le jeune système solaire (abondances relatives des éléments, température, temps d'accrétion, etc).

IV.1. Méthodes d'investigation

À la rare exception du retour d'échantillon de l'astéroïde (25,143) Itokawa par la sonde Japonaise Hayabusa en 2011, l'étude de la composition des astéroïdes se fait à distance, en analysant la lumière qu'il réflechissent et comparant ces propriétés à celles de météorites ou minéraux analysés en laboratoire.

Couleurs de surface: Dès l'après guerre, les premières mesures du flux (la quantité de lumière) des astéroïdes montra qu'il existait divers groupes. Ces mesures étant alors réalisées avec des filtres de couleur très larges, correspondant globalement aux couleurs rouge, verte, et bleue, on parla de la couleur de la surface des astéroïdes, qui pouvait être plus ou moins bleu, ou rouge, suivant si l'astéroïde réfléchissait plus de lumière dans une couleur (un filtre) que l'autre. Les premiers systèmes de classement, appelés taxonomies, des astéroïdes en fonction de leur propriétés de surface furent construit à partir de ces couleurs.

Spectroscopie: En décomposant la lumière suivant sa longueur d'onde, il est possible de mesurer la répartition spectrale de celle-ci. Le principe équivaut à prendre de nombreuses images, avec des filtres très étroits, chacun correspondant à une longueur d'onde bien précise. La forme de ces spectres, c'est à dire la distribution en longueur d'onde de la lumière réfléchie par la surface d'un corps, nous renseigne sur les matériaux qui le compose. En effet, la matière est organisée en atomes, molécules, cristaux, qui ont tous des fréquences bien définies de transition quantique, rotation, vibration, etc. étudiées par la mécanique quantique. À Ces fréquences correspondent des bandes dites d'absorption dans le spectre. L'identification de ces bandes fourni la liste des composés en surface.

Albédo: Les différents composés ne réfléchissent pas tous la lumière de la même manière. Ceci est assez intuitif, il suffit de comparer un objet "noir" avec un "blanc". Le premier absorbe plus de lumière que le second. Ainsi, si les signatures dans le spectre de certains astéroïdes ne permettent pas d'identifier leur composition, leur albédo permet de les classer dans divers sous-groupes, liés à divers types de météorites.

Principe de la détermination de la composition des
           astéroïdes par spectroscopie.
Figure 16: Principe de la détermination de la composition des astéroïdes par spectroscopie.
Crédits: B. Carry (IMCCE).

 

IV.2. Interprétations

Les premières études de la surface des astéroïdes montrèrent que ceux de la partie interne de la ceinture principale (Figure 3) réfléchissaient plus la lumière et étaient plus rouges que ceux de la partie externe, plus bleus et plus sombres (c'est à dire dont l'albédo était plus faible) . Dans les années 1980s, divers groupes d'astéroïdes aux couleurs distinctes, se succédant en fonction de la distance au Soleil, furent découverts (Gradie ㏂p; Tedesco, 1982, voir Figure 17). L'interprétation qui domina était que cette succession était le résultat d'une forte différence de température à travers la ceinture lors de la formation du système solaire. Puis, cette vue simple se complexifia, au fur et à mesure que de nouvelles caractéristiques compositionnelles de la ceinture principale étaient découvertes au travers d'observations. Celles-ci se montrèrent de moins en moins consistantes avec la théorie classique. Au début, seuls quelques astéroïdes contaminant les groupes de couleurs distincts furent découverts, tels des intrus.

Aujourd'hui, à travers la découverte de plus d'un demi-million d'astéroïdes depuis les années 1980s, la mesure des couleurs et spectres de plusieurs dizaines de milliers d'astéroïdes, l'idée d'un système solaire statique a été remplacée par une conception beaucoup plus dynamique, où peu de choses se trouvent là où elles se sont créées (voir DeMeo & Carry 2014). Cette nouvelle interprétation était motivée par la structure de la ceinture principale d'astéroïdes, résultant des migrations planétaires. Ces dernières semblant généralisées dans les systèmes exoplanétaires, notre système solaire a certainement connu lui-aussi des modifications dans l'orbite des planètes.

Les modèles, tel celui de Nice, cherchant à reproduire la structure globale de notre système solaire (les orbites des planètes géantes, Pluton et les objets transneptuniens, et les astéroïdes troyens) comprennent tous une phase de migration planétaire durant laquelle les planètes géantes ont migré sur des distances substantielles, secouant les astéroïdes (qui s'étaient formés partout dans le disque protoplanétaire) comme des flocons dans une boule à neige et les transportant jusqu'à leurs positions actuelles dans la ceinture. La ceinture principale est donc un pot pourri de l'ensemble des conditions qui régnèrent dans tout le jeune système solaire.

Vue-Principe de la détermination de la composition des
           astéroïdes par spectroscopie.
Figure 17: Deux cartographies de la composition de la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, établies à 30 ans d’intervalle. La présence d’astéroïdes « primitifs » - notamment de type C et D – vers l’intérieur de la ceinture d’astéroïdes, près de l’orbite de Mars, s’impose désormais comme une évidence. Ces cartes permettent de mieux comprendre l'histoire de la formation et de l'évolution du système solaire.
Crédits: IMCCE - Observatoire de Paris / CNRS / Y. Gominet.

Bibliographie
(les liens renvoient vers le site bibliographique d'Astrophysics Data System -SAO/NASA)

  • Carry et al. 2010: Physical properties of (2) Pallas, Icarus.
  • Carry et al. 2012: Shape modeling technique KOALA validated by ESA Rosetta at (21) Lutetia, Planetary & Space Science.
  • Carry et al. 2015: The small binary asteroid (939) Isberga, Icarus.
  • Delbo et al. 2009: First VLTI-MIDI Direct Determinations of Asteroid Sizes, The Astrophysical Journal.
  • DeMeo & Carry 2014: Solar System evolution from compositional mapping of the asteroid belt, Nature.
  • Durech et al. 2010: DAMIT: a database of asteroid models, Astronomy & Astrophysics.
  • Durech et al. 2015: Asteroid Models from Multiple Data Sources, in Asteroids IV.
  • Dohnanyi 1969: Collisional Model of Asteroids and Their Debris, Journal of Geophysical Research.
  • Fienga et al. 2011: The INPOP10a planetary ephemeris and its applications in fundamental physics, Celestial Mechanics and Dynamical Astronomy.
  • Gradie & Tedesco 1982: Compositional structure of the asteroid belt, Science.
  • Hanus et al. 2011: A study of asteroid pole-latitude distribution based on an extended set of shape models derived by the lightcurve inversion method, Astronomy & Astrophysics.
  • Hanus et al. 2013: Asteroids' physical models from combined dense and sparse photometry and scaling of the YORP effect by the observed obliquity distribution, Astronomy & Astrophysics.
  • Johansen & Lacerda 2010: Prograde rotation of protoplanets by accretion of pebbles in a gaseous environment, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
  • Kaasalainen et al. 2002: Asteroid Models from Disk-integrated Data, in Asteroids III.
  • Kaasalainen 2011: Maximum compatibility estimates and shape reconstruction with boundary curves and volumes of generalized projections, Inverse Problem and Imaging.
  • Lebofski et al. 1989: A refined 'standard' thermal model for asteroids based on observations of 1 Ceres and 2 Pallas, Icarus.
  • Masiero et al. 2011: Main Belt Asteroids with WISE/NEOWISE. I. Preliminary Albedos and Diameters, The Astrophysical Journal.
  • Morbidelli et al. 2005: Chaotic capture of Jupiter's Trojan asteroids in the early Solar System, Nature.
  • Russell et al. 2012: Dawn at Vesta: Testing the Protoplanetary Paradigm, Science.
  • Saint-Pé et al. 1993: Demonstration of adaptive optics for resolved imagery of solar system objects - Preliminary results on Pallas and Titan, Icarus.
  • Scheeres et al. 2015: Science, in Asteroids IV.
  • Thomas et al. 1997: Impact excavation on asteroid 4 Vesta: Hubble Space Telescope results, Science.
    • Crédit : B. Carry/IMCCE/Observatoire de Paris