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Histoire de l'observatoire de Toulouse



L'histoire d'un établissement scientifique, c'est avant tout l'histoire d'une oeuvre scientifique. En l'occurrence, pour l'Observatoire de Toulouse, c'est sa collection de dix mille clichés de la Carte du Ciel. Ce sont trois catalogues d'observations méridiennes de plusieurs milliers d'étoiles chacun, et trois catalogues astrophotographiques qui totalisent plus de 210 000 étoiles. C'est aussi la construction du télescope Benjamin Baillaud au sommet du Pic du Midi, qui a permis par la suite des observations uniques au monde. Ce sont des thèses de doctorat et des monographies. Ce sont également de remarquables bases de données, sur les taches solaires, les étoiles doubles, les petites planètes, les satellites de Jupiter et de Saturne. C'est aussi une série presque ininterrompue d'observations météorologiques journalières depuis 1838 et des registres d'observations du magnétisme terrestre. Car l'Observatoire était un Observatoire astronomique, mais aussi météorologique et magnétique. On ne peut pas non plus faire l'histoire d'un tel institut sans évoquer les hommes qui l'ont profondément marqué par leur forte personnalité, ceux qui ont mené ces projets, en l'occurrence les directeurs successifs.

Mais on oublie souvent que cette oeuvre, ces projets, n'auraient jamais pu se réaliser sans tout un personnel qui a accompli, jour après jour, un travail anonyme, souvent ingrat. C'est pourquoi je voudrais rendre hommage ici à tous ceux et celles, astronomes, techniciens, calculatrices, auxiliaires, qui ont consacré leur carrière à l'astronomie à Toulouse, qui ont passé des nuits dans l'obscurité et le froid à prendre des clichés ou à mesurer l'instant de passage d'étoiles au méridien, qui ont effectué les relevés des instruments météo, dès 6 heures du matin, tous les jours de l'année, y compris les dimanches et les jours fériés, qui ont passé leurs journées à recopier des chiffres dans de gros registres, après avoir vérifié qu'ils étaient bien corrects.

Ce personnel a souvent été au-delà de l'exécution mécanique des tâches qui lui étaient assignées; il s'y est dévoué, parce qu'il avait conscience de travailler pour la Science. L'oeuvre est là pour en témoigner. De plus, ce dévouement est mentionné tout au long des rapports annuels d'activité de l'Observatoire. Certains ont été récompensés; ainsi Dominique Saint-Blancat a reçu le prix La Caille de l'Académie des Sciences en 1924. Parfois, on ne le trouve qu'en lisant entre les lignes. En voici un exemple. Enfoui dans un dans un dossier aux archives municipales, j'ai trouvé la phrase suivante, pour 1915 : "M. Cazabon, mobilisé, obtint une permission qu'il a passée au Pic du Midi où il a mis l'instrument et la coupole en état de passer plusieurs années sans se détériorer". En 1915, je n'aurais certainement pas sacrifié une permission pour aller travailler au Pic!



Les débuts de l'Observatoire à Jolimont


L'histoire de l'Observatoire de Toulouse à Jolimont n'est qu'un chapitre d'une histoire plus importante, celle de l'astronomie à Toulouse. Les premiers astronomes toulousains que nous connaissons observaient le ciel au 17ème siècle. Un peu plus tard, en 1733, l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse aménage un Observatoire dans l'une des tours des remparts et en confie la direction à Garipuy.

En 1781, l'astronome Jérôme de Lalande disait, en parlant de Toulouse, que "c'est de toutes les villes de province celle où l'astronomie est la plus cultivée". A cette époque, Toulouse ne comptait pas moins d'une dizaine d'astronomes et trois Observatoires, ceux de Garipuy (rue des Fleurs), celui de Darquier (dans la rue qui porte maintenant son nom), et celui de Riquet (le petit-fils du constructeur du canal du Midi) à Bonrepos.

Frédéric Petit, le premier directeur de l'Observatoire de Toulouse à Jolimont


Frédéric Petit est le premier directeur de l'Observatoire de Jolimont. Nommé directeur de l'Observatoire de la rue des Fleurs en 1838, il constate que cet Observatoire n'est pas en état de recevoir les nouveaux instruments que lui a donnés le Bureau de Longitudes à Paris, sur la recommandation de François Arago, dont il est l'élève. Il propose d'ériger un nouvel Observatoire en dehors de la ville, sur la butte de Jolimont, un endroit mal fréquenté où l'on va se battre en duel. Mais il lui faut 3 ans de négociations avec la ville avant que la première pierre ne soit posée à Jolimont, en 1841, puis encore 6 ans avant que le bâtiment ne soit terminé, et encore 3 ou 4 ans avant de pouvoir enfin y travailler. On ne sera donc pas surpris de lire, dans le premier tome des Annales de l'Observatoire, quelques phrases amères pour caractériser cette période de sa vie.

"... pendant douze ans entiers, depuis la fin de 1838 jusque vers la fin de 1850, tourments, fatigues, heures de découragement et presque de désespoir, efforts incessants pour briser ou pour tourner des obstacles constamment renouvelés au sein des divers Conseils municipaux qui se succédaient et qu'il fallait entraîner contre l'opinion des hommes habitués jusqu'alors à décider sans appel, à Toulouse, dans les questions de science; pendant douze mortelles années, pour fonder l'oeuvre à laquelle je m'étais dévoué, j'ai dû tout épuiser, tout ce qui peut rendre la vie amère à un homme convaincu qu'il doit marcher résolument dans la voie pleine de dégoûts où il s'est engagé."

Un peu plus loin, il parle des difficultés pratiques pour observer : 

"Quelle vie désolante que celle d'un homme de science obligé d'écrire lettre sur lettre, de faire démarche sur démarche, et pourtant condamné, presque toujours, malgré tant d'efforts, à ne pas obtenir qu'on lui remît en état les trappes méridiennes quand elles ne voulaient plus marcher; qu'on arrêtât les infiltrations pluviales qui dégradaient les terrasses ou qui pourrissaient les planchers; qu'on ne laissât pas les soubassements se détruire sous l'action des eaux souterraines; qu'on prit les dispositions nécessaires pour lui permettre d'aller d'une salle d'observation à l'autre, sans s'exposer, la nuit, aux plus graves accidents à travers les mécanismes des terrasses, etc., etc."

Petit laisse pour la postérité la mesure de la latitude de l'Observatoire, des tables crépusculaires destinées à régler l'éclairage public et des observations météorologiques complètes de 1839 à 1862. Par contre, toutes ses observations d'étoiles, non réduites, ont été perdues.

Son successeur, Théodore Despeyroux, a peu de goût pour les observations, et ne se sent pas la ténacité de caractère nécessaire pour le poste; il ne reste directeur que trois mois.

Pierre Daguin, troisième directeur de l'Observatoire de Jolimont, est d'une autre trempe. Il sort de Normale Sup. comme ses deux successeurs immédiats. A cette époque, et pendant encore de nombreuses années, il ne sera pas possible d'être directeur d'un Observatoire français si on ne sort pas de cette école distinguée. Daguin se consacre surtout à son enseignement à la faculté des sciences; à l'Observatoire, il se borne à poursuivre les observations météorologiques. Il a le mérite de commander le télescope de 83 centimètres que la ville avait promis à Petit. Le miroir est taillé par les frères Henry, que nous retrouverons plus loin. A la chute de l'Empire en 1870, Daguin entre en conflit avec la ville qui veut renvoyer le concierge à cause de ses convictions bonapartistes, qui ne l'empêchent pourtant pas d'être très utile au directeur. N'ayant pas obtenu gain de cause, Daguin démissionne.

1870, c'est aussi l'année de la défaite et de l'occupation par l'armée prussienne. Après cette épreuve humiliante, le nouveau gouvernement veut tout faire pour que la France retrouve sa fierté, et favorise toutes les initiatives en ce sens. C'est dans cette décennie que l'astronomie française officielle, jusqu'alors cantonnée principalement à l'Observatoire de Paris et celui de Marseille, sa succursale, va se développer. L'Etat fonde de nouveaux Observatoires, et prend en charge celui de Toulouse. Un décret du 15 juillet 1872 fixe la composition et les salaires du personnel de l'Observatoire.

Félix Tisserand, normalien, astronome-adjoint à l'Observatoire de Paris, succède en 1873 à Daguin. Il a 28 ans, comme Petit à ce point de sa carrière. Contrairement à ses prédécesseurs, Tisserand n'est pas seul; deux aides-astronomes, Joseph Perrotin et Guillaume Bigourdan, l'assistent dans ses observations. Le premier, originaire de Pau où il a été en classe avec Isidore Ducasse (plus connu sous le pseudonyme de comte de Lautréamont), était maître répétiteur au Lycée de Toulouse. Le second, originaire d'une famille d'agriculteurs du Tarn-et-Garonne, était étudiant à la faculté des sciences de Toulouse. Ce sont donc des novices en astronomie, mais Tisserand a du flair, car ils seront tous deux des astronomes remarquables. En 1874, Tisserand part au Japon observer le transit de Vénus sur le Soleil. Pendant cette absence d'un an, Jules Gruey, chargé de cours à la faculté des sciences de Toulouse, futur directeur de l'Observatoire de Besançon, assure l'intérim de la direction.

Cliquez ici pour une vue de l'Observatoire de Toulouse à Jolimont au début du siècle

Tisserand fait installer le télescope de 83 centimètres en 1875. La monture, en bois, n'est pas stable, et ne permet pas la photographie. Il ne reste plus qu'un seul programme possible, l'observation visuelle. Mais on ne peut pas faire de mesures de séparation d'étoiles doubles parce que le micromètre ne fonctionne pas. Les trois astronomes se mettent à la tâche et observent les satellites de Jupiter et de Saturne. Ils font d'ailleurs si bien que Benjamin Baillaud, le directeur suivant, s'en servira pour établir une théorie des orbites de cinq des satellites de Saturne, théorie fort peu modifiée à ce jour. Ils observent également les taches solaires, et les archives de l'Observatoire renferment encore leurs magnifiques dessins de l'aspect journalier de la surface de notre astre. Perrotin découvre de nouvelles petites planètes. Comme il est de tradition de donner des noms féminins aux nouvelles petites planètes, il donne le nom de Tolosa à celle qu'il découvre le 19 mai 1874.

Les directeurs de l'Observatoire de Toulouse à Jolimont : 
Frédéric Petit (1810 - 1865) 1838 - 1865
Théodore Despeyroux (1815 - 1883) 1865 - 1866
Pierre Daguin (1814 - 1884)  1866 - 1870
Félix Tisserand (1845 - 1896)  1873 - 1878
Benjamin Baillaud (1848 - 1934)  1879 - 1908
Eugène Cosserat (1866 - 1931)  1908 - 1931
Emile Paloque (1891 - 1982)  1931 - 1960
Roger Bouigues (1920 - )  1961 - 1971
Jean Rösch (1915 - 1999)  1971 - 1981


Benjamin Baillaud


En 1878, Tisserand quitte l'Observatoire de Toulouse pour diriger celui de Paris. Guillaume Bigourdan le rejoint un an plus tard, et Joseph Perrotin prend la direction de l'Observatoire de Nice en 1880.

C'est donc une toute nouvelle équipe qui occupe rapidement les lieux au début des années 80. Benjamin Baillaud, normalien, astronome à l'Observatoire de Paris, puis professeur de mathématiques dans différents grands lycées parisiens, est nommé directeur de l'Observatoire de Toulouse le 18 mars 1879. Dominique Saint-Blancat est recruté en 1880, Louis Montangerand en 1883, Frédéric Rossard en 1888, Eugène Cosserat en 1889, Emile Besson en 1892, Henri Bourget en 1893. Tous ces astronomes, à part Baillaud et Bourget, passeront plus de 40 ans de leur vie à l'Observatoire de Toulouse. Saint-Blancat et Besson se consacreront aux observations méridiennes, Bourget, Rossard et Montangerand à la photographie.

Photographie de la nébuleuse planétaire de la Lyre en 1890. Le cliché représente neuf heures de pose en quatre nuits.


Ce dernier réalise une prouesse en septembre 1890. Pendant quatre nuits successives, il photographie la nébuleuse de la Lyre, découverte cent ans auparavant par Darquier à Toulouse. Le cliché, résultat de 9 heures de pose, contient plus de cinq mille étoiles. La riche collection de clichés obtenus par Bourget et Montangerand valent une médaille d'or à l'Observatoire à l'Exposition Universelle de 1900.

Baillaud est directeur de l'Observatoire pendant presque 30 ans, avant de faire une deuxième carrière comme directeur de l'Observatoire de Paris. C'est pendant cette période et à son initiative que sont entrepris les deux grands projets qui vont animer la vie de l'Observatoire, la Carte du Ciel et la construction d'un télescope au Pic du Midi. Baillaud est également professeur d'astronomie à la faculté des sciences, et joue un rôle important dans le développement de cette faculté. Il s'agit là de toute évidence d'un homme exceptionnel.

Il estime que les instruments disponibles à l'Observatoire ne permettent pas de faire une astronomie de qualité. Il acquiert trois nouveaux instruments, une lunette de Brunner en 1880, avec un objectif de 25 centimètres d'ouverture, qui servira principalement à l'observation des étoiles doubles, un équatorial double - type Carte du Ciel - en 1890, avec un objectif photographique de 33 centimètres et un objectif visuel de 19 centimètres, enfin une lunette méridienne en 1891. Ces deux derniers instruments serviront à la réalisation de la Carte du Ciel. Par ailleurs, à force d'astuces, il parvient à financer le remplacement de la monture en bois de l'équatorial de 83 cm par une monture métallique en 1889. Ce télescope servira à Henri Bourget pour prendre des clichés de nébuleuses. Entre 1926 et 1935, il sera utilisé pour la recherche de nouvelles petites planètes.

L'astrographe double de la Carte du Ciel de l'Observatoire de Toulouse




La Carte du Ciel


Baillaud oriente la vocation de l'Observatoire vers l'astrométrie, la mesure de la position des astres, en participant à l'entreprise de la Carte du Ciel. C'est l'un des deux grands projets de l'Observatoire; il va l'animer pendant plus d'un demi-siècle.

La Carte du Ciel, démarrée en 1889 par l'amiral Mouchez, est l'un des premiers grands projets scientifiques faisant l'objet d'une collaboration internationale. Mouchez a passé une grande partie de sa vie à faire de la cartographie marine, et, lorsqu'il est nommé à la direction de l'Observatoire de Paris, il ne tarde pas à comprendre que les progrès en photographie astronomique réalisés par les frères Henry à l'Observatoire peuvent révolutionner l'uranographie, ou cartographie céleste. Il conçoit alors le projet de photographier tout le ciel en 22000 clichés de 2x2 degrés chacun, et ne tarde pas à rallier à sa cause David Gill, directeur de l'Observatoire du Cap de Bonne Espérance, et Otto Struve, directeur de l'Observatoire de Poulkovo, près de Saint-Pétersbourg. Bientôt ce sont 18 Observatoires, ceux de Paris, Alger, Bordeaux et Toulouse pour la France, qui participent à cette entreprise.

Les Observatoires participant à la Carte du Ciel 
Observatoire N plaques  Déclinaisons en degrés
Greenwich 1149 + 90 à + 65
Rome  1040  + 64 à + 55
Catania  1008 + 54 à + 47
Helsinki  1008 + 46 à + 40
Potsdam  1232 + 39 à + 32
Oxford  1180 + 31 à + 25
Paris  1260 + 24 à + 18
Bordeaux  1260 + 17 à + 11
Toulouse  1080 + 10 à + 5
Alger  1260 + 4 à - 2
San Fernando  1260 - 3 à - 9
Tacubaya  1260 - 10 à - 16
Santiago  1260 - 17 à - 23
La Plata  1360 - 24 à - 31
Rio  1376 - 32 à - 40
Le Cap  1512 - 41 à - 51
Sydney  1400 - 52 à - 64
Melbourne  1149 - 65 à - 90

Le catalogue astrophotographique est produit en deux étapes, qui sont menées de front.

- D'une part, on mesure les positions d'étoiles de repère avec la lunette méridienne. C'est un travail long, mais précis; il faut mesurer l'instant de passage de chaque étoile au Sud, et sa hauteur au-dessus de l'horizon à cet instant. A Toulouse, c'est le travail de Dominique Saint-Blancat et d'Emile Besson.

Ils ont produit trois catalogues de positions d'étoiles de repère. Le premier appelé TOU1 donne des mesures faites en 1891-98 (3719 étoiles), le deuxième, TOU2, couvre la période 1898-1905 (6447 étoiles), TOU3 la période 1908-31 (10070 étoiles).

- D'autre part, on prend des clichés photographiques de toute la zone avec l'astrographe. La plupart des photographies sont prises par Louis Montangerand, puis Frédéric Rossard et Augustine Anglade. On mesure ensuite sur chaque plaque les positions relatives de centaines d'étoiles par rapport aux étoiles de repère, qui sont généralement au nombre de 12 par plaque; c'est le travail des calculatrices.

Les calculatrices de la Carte du Ciel dans leur bureau à l'Observatoire de Toulouse, au début du siècle


L'Observatoire a produit le catalogue astrophotographique de la zone de Toulouse, une fois que les positions absolues exactes des étoiles de repère ont été bien déterminées. Ce catalogue a lui aussi été publié en 3 volumes.

Zone +5 degrés à +7 degrés, 62610 étoiles (publié en 1936),

zone +7 degrés à +9 degrés, 76707 étoiles (1939),

zone +9 degrés à +11 degrés, 76452 étoiles (1948).

Comme on peut s'en douter, ce catalogue astrophotographique international a représenté un travail considérable. Il est à la base des grands catalogues d'étoiles actuels, et il a permis la découverte d'un grand nombre d'étoiles doubles et d'étoiles à fort mouvement propre (c'est-à-dire dont le mouvement sur la sphère céleste est important). Enfin, les clichés servent encore à l'heure actuelle pour déterminer les mouvements des étoiles ou étudier leur variabilité.

Mais les progrès que ce projet a permis en astronomie sont modestes en regard du temps qui lui a été consacré. Sur le plan astronomique, ce projet de la carte du Ciel a en fait été une profonde erreur. Cela tient à ce que sa durée a été complètement sous-estimée; il a mobilisé les forces vives d'un grand nombre d'astronomes d'une vingtaine d'Observatoires pendant plus de 60 ans, alors qu'il ne devait pas prendre plus de 10 ou 15 ans. Pendant ce temps, toute l'astronomie extragalactique et l'astrophysique s'est faite ailleurs. Ce n'est que dans les années 30 que les astronomes français ont commencé à s'intéresser à l'astrophysique.

Par contre, sur le plan purement stratégique, ce projet a été une très bonne initiative, parce que c'était une entreprise internationale. A l'époque, les projets impliquant des collaborations internationales avait la même aura que les projets spatiaux d'aujourd'hui, et des moyens importants leur étaient consacrés. Ainsi, Baillaud a pu équiper son Observatoire d'un instrument tout neuf, un astrographe double, sans qu'il lui en coûte un sou, et, pendant des années, lui et ses successeurs ont reçu des moyens humains et financiers importants pour poursuivre ce projet; ils ont pu payer les salaires d'un grand nombre d'employés auxiliaires pour mesurer les clichés, ils ont reçu des crédits pour acheter du matériel photographique et des machines à mesurer, et pour publier les résultats. Ce projet anime l'Observatoire de Toulouse d'une activité frénétique pendant plus d'un demi- siècle, et le rayonnement de cet Observatoire au niveau national et international en a beaucoup bénéficié.

Il est de toute façon fort probable qu'aucun Observatoire français n'aurait pu se lancer dans l'astrophysique, faute d'instruments assez puissants. Mais peut-être ce manque d'instruments adéquats était-il précisément dû au fait que tout l'argent a été investi dans le projet de la Carte du Ciel. D'où la nécessité de bien réfléchir avant de miser sur un grand projet comme le VLT.



Le télescope Benjamin Baillaud


L'autre grand projet de Benjamin Baillaud est la construction d'un grand télescope, du moins pour l'époque, au sommet du Pic du Midi. Baillaud connaît bien le Pic du Midi et son Observatoire, parce qu'il en a souvent assuré l'inspection annuelle. Cet Observatoire, dirigé par Emile Marchand, assure alors principalement des observations de routine en astronomie (taches solaires, aspect des planètes, positions des satellites de Jupiter et Saturne), météorologie et magnétisme.

C'est avec l'appui du recteur de l'Université que Baillaud démarre ce projet. Mais le Pic souffre d'une réputation ambiguë; pour les uns, le site est exceptionnel, pour d'autres, au contraire, il y fait souvent mauvais temps. Prudent, Baillaud veut d'abord faire une campagne d'étude du site. Pour cela, il entreprend de faire construire une petite coupole provisoire au sommet, sur la butte où les fondateurs de l'Observatoire prévoyaient précisément d'installer leur future coupole astronomique. Il n'a donc qu'à faire réactualiser les plans et devis de nivellement et de construction par Marchand.

Ce dernier propose de construire une coupole avec un mur cylindrique en bois de 2m15 de haut et de 4m de rayon, surmonté d'un tronc de cône en tôle tournant sur des galets. Jean Carrère, le mécanicien de l'Observatoire qui devait construire la coupole, tombe malade en juillet 1901, et c'est la Serrurerie Delpuech, Estère et Dejeanjean ("Serrurerie artistique, horticole et de bâtiment") qui réalise la coupole le mois suivant. Les pièces de l'instrument et de la coupole sont envoyées par wagon de chemin de fer à Bagnères le 30 août (où elles arrivent avec huit jours de retard, sans doute après être passées par Bagnères de Luchon!), puis transportés par un bouvier jusqu'à Gripp et enfin à dos de mulet jusqu'au sommet. La butte est nivelée en juillet. Pour cela, il a fallu enlever 30 mètres cubes de rochers. Marchand dirige les travaux de construction au mois d'août.

Vue de l'Observatoire du Pic du Midi en 1903


En arrivant au sommet au mois de septembre, Henri Bourget ne rencontre que des ennuis. La coupole, "cette bastringue", comme il l'appelle, refuse obstinément de tourner. Au bout d'une semaine d'efforts, elle tourne enfin. C'est alors que Bourget se rend compte des inconvénients de l'altitude. "L'instrument entier se couvre de givre et de glace depuis la vis tangente jusqu'aux verres des instruments. (...) Ce matin encore j'ai enlevé à la roue dentée des plaques de glace et toute la coupole est tapissée entièrement de glace qui brille à la lumière et qui commençait à fondre sous les rayons du soleil."

Les études de site se poursuivent l'année suivante. Le rapport final de Baillaud, soumis en mars 1903, est très favorable, et l'Université accepte de financer son projet de station astronomique par une subvention de 30 000 francs, à verser en trois annuités.

La suite logique est de revoir l'administration au sommet. Mais Emile Marchand n'apprécie pas du tout l'arrivée des toulousains au Pic; il ne veut pas être rélégué à un rôle subalterne, et voir le résultat de dix ans de travail passer en d'autres mains. Il parvient à à faire avorter le projet de fusion administrative des deux Observatoires de Toulouse et du Pic du Midi, avec un seul directeur, Baillaud. Un décret présidentiel du 2 novembre 1903 rattache l'Observatoire du Pic du Midi à l'Université de Toulouse. Par ce décret, l'Observatoire du Pic du Midi conserve son autonomie, mais un terrain bien précis est réservé à la construction d'une succursale astronomique dépendant de l'Observatoire de Toulouse. Ce n'est qu'en 1915, après la mort de Marchand, que se réalisera la fusion des deux Observatoires.

Le projet définitif de coupole astronomique au sommet du Pic du Midi commence à se réaliser en 1904; le télescope est construit à Paris par le constructeur Gautier, et la coupole par Jean Carrère et une équipe de mécaniciens à l'Observatoire de Toulouse. Un détachement d'artilleurs d'un régiment de Tarbes met deux étés, ceux de 1906 et 1907, pour transporter le télescope en pièces détachées dans 22 caisses de 350 à 700 kilos au sommet du Pic du Midi. Un ouvrier de Gautier passe les étés de 1908 et 1909 à terminer l'installation, et le télescope devient opérationnel en 1909. Il comporte deux tubes rectangulaires de 6 m de long accollés, l'un pour un télescope à miroir de 50 cm, l'autre pour une lunette visuelle à lentilles de 23 cm. L'objectif de cette lunette était auparavant sur la lunette de Brunner à Jolimont, où il a été remplacé par un objectif de 38cm fabriqué par les frères Henry en 1902.

Construction de la coupole du télescope Benjamin Baillaud au sommet du Pic du Midi en 1906


Ajoutons pour terminer que, dans les années 30 et 40, le télescope connaît une renaissance qui l'amènera au premier plan de l'astronomie mondiale, par ses photographies inégalées des surface planétaires, et des études de la couronne solaire en dehors des éclipses, justifiant enfin le projet de Benjamin Baillaud.



La vie quotidienne à l'Observatoire vers 1925


Lorsque Baillaud quitte Toulouse pour l'Observatoire de Paris en 1908, Eugène Cosserat devient directeur. Emile Paloque, venu de Nice en 1926, prend la relève à la mort de Cosserat en 1931. Ces années d'entre deux guerres voient essentiellement la poursuite du projet de la Carte du Ciel. On observe pendant à peu près une centaine de nuits par an, pour obtenir : 

- 400 à 500 clichés de la Carte du Ciel (Rossard)
- 2500 à 4500 positions d'étoiles de repère avec la lunette méridienne (Saint-Blancat, puis Besson)
- 25000 à 30000 positions d'étoiles sur les clichés (les dames de la Carte du Ciel)
- 100 à 150 mesures d'étoiles doubles à la lunette de Brunner (Montangerand)
- position d'une cinquantaine de petites planètes (Paloque, puis Jekhowsky)

Enfin, une vingtaine de clichés de la Carte du Ciel sont envoyés à l'héliogravure chez Schützenberg à Paris.

Les travaux de routine sont : 
- surveillance de la marche des chronomètres et pendules (pour le méridien)
- relevés météorologiques
- impression d'un réseau et développement des clichés (Cazabon)
- réduction des observations méridiennes et d'étoiles doubles.

Ce n'est qu'en 1935 que Pierre Lacroute installe un service astrophysique, avec observation spectroscopique d'étoiles.

Ici se termine l'histoire de l'Observatoire de Toulouse à Jolimont. Les années d'après-guerre, la construction d'un laboratoire d'astrophysique, la réalisation d'instruments de mesure modernes, la venue d'une nouvelle génération d'astronomes et d'astrophysiciens, appartiennent encore au présent.




Crédit : Emmanuel Davoust / OMP