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Comprendre > Histoire > Observatoire de Paris XVIII

La direction de Danjon (1945-1963)



Dans tous les domaines scientifiques, l'après-guerre voit se produire un développement d'une ampleur encore inégalée. En astronomie ce développement sera l'oeuvre de Danjon qui, de son poste de directeur de l'Observatoire, l'inspire, le coordonne et en assure l'efficacité, préparant les voies de l'avenir. 

André Danjon est né à Caen le 6 avril 1890. Élève de l'Ecole normale supérieure en 1910, il est agrégé de physique en 1914 et mobilisé peu après, dans l'infanterie. Blessé en Champagne dès le début de la guerre, il perd un oeil, mais reprend du service et fait campagne en Italie dans le Service de repérage par le son. 

Passionné d'astronomie, il se fait nommer aide-astronome, en 1919, à l'Observatoire de Strasbourg redevenu français. Il va donner aussitôt la mesure de ses talents d'organisateur en établissant rapidement un projet de reconstruction et d'équipement de cet observatoire; or des crédits généraux d'investissement scientifique viennent d'être ouverts, et le projet relatif à l'Observatoire de Strasbourg, qui constitue la première demande que reçoit le ministère, est adopté. Peu après, en 1923, Danjon établit en cinq semaines un " avant-projet d'organisation d'un observatoire d'astronomie physique " qui va être à l'origine de la création de l'Observatoire de Haute-Provence. 

Directeur de l'Observatoire de Strasbourg en 1930, il est élu doyen de la Faculté des sciences en 1935. L'Université de Strasbourg se replie à Clermont-Ferrand en 1940, il en devient recteur, organise la protection des étudiants et professeurs alsaciens, est arrêté par les Allemands en 1942 et est bientôt révoqué. 

Nommé directeur de l'Observatoire de Paris en 1945, il est reconnu comme le chef de l'astronomie française. Il donne à celle-ci une impulsion qui s'étend à l'activité et à l'équipement de tous les observatoires de province. Pour longtemps les principaux chercheurs de ces établissements seront ses anciens élèves 

Ses travaux scientifiques sont innombrables. Il a réintroduit l'emploi des prismes biréfringents, et il les a appliqués ou fait appliquer à des sujets aussi divers que la photométrie, l'enregistrement des positions d'étoiles, la mesure des étoiles doubles. Il a codifié les méthodes d'étude des sites astronomiques (en vue des nouvelles implantations), et il a introduit une méthode élégante pour la détermination des orbites des étoiles doubles. Ses ouvrages, Lunettes et Télescopes (en collaboration avec A. Couder) et Astronomie générale, plusieurs fois réimprimés, font autorité dans le monde aujourd'hui encore. 

Danjon, travailleur infatigable, effectuait encore des observations à l'âge de soixante-dix ans. Frappé en 1963 d'une attaque le laissant partiellement paralysé, il réapprend à parler et à lire; il rédige alors l'histoire de l'Observatoire de Haute-Provence, fondé en 1936 après treize années d'études au cours desquelles ses travaux et ses conclusions avaient été déterminants. Une complication pulmonaire lui est fatale le 27 avril 1967. 


 

L'expansion scientifique

Mentionnons pour mémoire les principales réalisations de Danjon hors Paris : implantation de la radioastronomie à Meudon et, conjointement avec l'Ecole normale supérieure, création de la Station de radioastronomie de Nançay (Cher), aujourd'hui partie intégrante de l'Observatoire; développement de l'astronomie solaire à Meudon, où est construite une tour solaire; naissance - dès 1957 et le premier lancement réussi d'un satellite artificiel - de la recherche spatiale française qui s'est, depuis, implantée avec le succès que l'on sait.À Paris vont être créés deux instruments astronomiques de première importance : la caméra électronique et l'astrolabe moderne. 

Le principe de la caméra électronique consiste à transformer la lumière reçue, c'est-à-dire les photons, en électrons, puis à accélérer ceux-ci et, enfin, à les focaliser sur une couche sensible, ce qui forme une image semblable à une image photographique et remarquablement fine; on tire ainsi parti d'émissions de faible luminosité. Lorsqu'il était encore à Strasbourg, Danjon avait proposé ce sujet d'étude aux astronomes de l'Observatoire, et notamment à André Lallemand. 

La caméra électronique, fruit de longues expériences de Lallemand (nommé entre-temps à Paris, en 1943) et de son collaborateur Maurice Duchesne, a été définitivement mise au point à leur laboratoire de physique astronomique de l'Observatoire en 1955 (on notera que les essais avaient été effectués au petit équatorial coudé, installé à titre expérimental par Loewy en 1882, et qui avait surtout servi, avant et après la première guerre, à des études de photométrie hétérochrome -dans le vert, le rouge et le bleu- menées notamment par Nordmann; il sera démantelé vers le milieu des années 70, au moment de l'ouverture au public de la partie sud du parc de l'Observatoire). Elle fait maintenant partie(*) de l'équipement de nombreux grands télescopes, dont elle accroît le pouvoir de pénétration dans le ciel en reculant la magnitude limite accessible de plusieurs unités. 

Le même laboratoire a réalisé des photomultiplicateurs de haute sensibilité : les électrons émis à partir des photons reçus, accélérés dans un champ électrique, entrent en contact avec une couche métallique qui les multiplie. Le processus est répété jusqu'à vingt fois, et l'énergie électrique recueillie à la sortie peut atteindre un milliard de fois l'énergie lumineuse incidente. Ces appareils ont été construits en série, sur place, pour les besoins des observatoires français ou étrangers travaillant dans le domaine de la photométrie. 

L'astrolabe de Danjon dérive d'un instrument de ce nom mentionné plus haut : il lui apporte deux perfectionnements essentiels, réalisés simultanément par l'introduction d'un prisme biréfringent mobile : substitution d'un enregistrement continu à une mesure de temps isolée, et surtout élimination de l'effet d'obliquité des faisceaux lumineux, inhérent au dispositif primitif. Le prototype, construit par les services techniques de l'Observatoire en 1951, a déjà la qualité requise pour que ses observations d'heure et de latitude soient utilisées par les organismes internationaux (BIH et Service international du mouvement du pôle). Danjon fait alors réaliser son astrolabe en série : quarante-cinq instruments seront construits en quelques années (ce qui est un record absolu pour un instrument d'observatoire) dont une vingtaine demeurent opérationnels aujourd'hui.

Les études faites à Paris ont permis d'étendre les applications de l'astrolabe à une grande partie des besoins de l'astrométrie, l'instrument prenant ainsi le relais des lunettes des passages et des instruments méridiens (eux-mêmes ayant succédé aux quarts-de-cercle et aux secteurs), dans la tradition des travaux de caractère astrométrique menés depuis trois siècles. 

L'astrolabe, ainsi que les données sur le temps et la position du Pôle recueillies au BIH qu'il dirige, amènent Danjon à faire aborder de nouveaux travaux sur la rotation de la Terre et les échelles de temps; poursuivis après sa mort, ces travaux figurent parmi ceux qui ont conduit à une redéfinition des notions fondamentales relatives au temps. 


 

Les moyens de l'expansion

Il fallait à l'Observatoire du personnel, des locaux, et d'abord des crédits; sur ce dernier point Danjon, usant de sa notoriété et de son expérience, sut exploiter au mieux les circonstances qui, à l'époque, étaient favorables. 

Avant la dernière guerre, l'ensemble Paris-Meudon ne comprenait guère qu'une cinquantaine de personnes. Vingt-cinq ans plus tard, sous l'impulsion de Danjon et grâce aux conditions extérieures favorisant l'expansion scientifique, il y en avait quatre cents. 

Il y avait fort peu de techniciens autrefois : les astronomes effectuaient le plus souvent l'entretien et la réparation des instruments eux-mêmes ou avec l'aide d'un mécanicien; ils sont aujourd'hui une fois et demie plus nombreux que les scientifiques. Autrefois on utilisait des agents techniques temporaires (il y en a cinq en 1920), et les scientifiques étaient plus ou moins longtemps bénévoles avant d'entrer dans les cadres; aujourd'hui demeurent seulement quelques jeunes chercheurs " hors statuts ", qui sont candidats à des postes scientifiques (cadre des observatoires ou du CNRS), et perçoivent des bourses à titre précaire. Enfin, du personnel administratif a été, progressivement recruté; il représente maintenant le dixième de l'effectif. 

Il peut être intéressant de mentionner l'évolution des salaires. de 1878 à aujourd'hui, le facteur moyen (tenant compte de la multiplication par 100 de l'unité monétaire) est de 3 000 : 3 700 pour les aides-astronomes, 2500 pour les astronomes titulaires, ce qui traduit le resserrement de l'échelle des salaires et est à comparer à l'augmentation réelle du coût de la vie, qui est de l'ordre de 2 500. 

On notera enfin que l'Observatoire, qui n'est rattaché à aucune université, au contraire des autres observatoires français (il a été successivement royal, "de la République", impérial, royal, impérial, national), a été investi de la personnalité civile et de l'autonomie financière en 1953, grâce à la persévérance des efforts de Danjon. 

À Paris les locaux de travail, dispersés dans le bâtiment Perrault, sont devenus très insuffisants. Danjon obtient l'autorisation de faire construire des ateliers et un laboratoire de physique astronomique dans la cour nord, vers la rue Cassini. Mais ce ne sont là que des palliatifs : les nouvelles équipes de recherche vont s'entasser dans le bâtiment principal, mal adapté à la distribution en bureaux et où le moindre recoin est récupéré, ainsi que dans les pièces annexes des bâtiments d'observation. C'est dans ces conditions que Danjon entreprend les démarches qui aboutiront, mais seulement après sa mort, à l'acquisition des terrains de l'avenue Denfert-Rochereau et au remplacement de constructions vétustes par deux bâtiments modernes. Ce sont ces locaux qui accueilleront en particulier le service des calculs et de mécanique céleste du Bureau des longitudes, laboratoire de recherche en mécanique céleste, créé par Danjon et Kovalevsky en 1961 pour développer les modèles dynamiques utiles à la conquête spatiale, qui deviendra en 1998 un institut de l'observatoire de Paris. 

Danjon est donc à l'origine du retour, pour le domaine de l'Observatoire, à une surface sensiblement équivalente à celle dont il bénéficiait un siècle plus tôt. Il a également fait établir, pour les terrains environnant l'Observatoire, un règlement de servitudes relatif à la hauteur des édifices et à l'éclairage, afin de conserver au site ses possibilités astronomiques. Ainsi peuvent être poursuivies les observations des étoiles brillantes et des objets du système solaire en une série ininterrompue depuis la fondation de l'Observatoire par Louis XIV. 


 
Crédit : S. Débarbat, S. Grillot, J. Lévy


(*) : ce texte a été écrit avant l'apparition des caméras CCD qui ont, bien sûr, rendu les caméras électroniques obsolètes.